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Actualités juridiques internationales
Afriques
Algérie

Mesures de lutte contre le coronavirus et relations de travail

Zina Yacoub
p. 160-163

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Mots-clés :

Afriques, Algérie
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Texte intégral

  • 1 Décret exécutif n°20-69 du 21 mars 2020 relatif aux mesures de prévention et de lutte contre la pro (...)
  • 2 Décret exécutif n°20-70 du 24 mars 2020 fixant des mesures complémentaires de prévention et de lutt (...)

1Au-delà des conséquences sanitaires, la pandémie liée au Covid-19 a ébranlé l’équilibre de l’économie mondiale et, par conséquent, le monde du travail. A l’instar des autres pays touchés par la pandémie, l’Algérie a adopté une stratégie de lutte contre sa propagation, qui n’est pas sans conséquences sur les relations de travail. Dès l’annonce du premier décès du Covid-19 en Algérie, les autorités publiques ont décrété une série de mesures destinées à prévenir et à lutter contre la propagation du coronavirus, à travers le décret exécutif n°20-691, complété trois jours plus tard par le décret n°20-702. Ces mesures sont axées sur la distanciation sociale et tendent à éviter le contact physique entre les citoyens dans les espaces publics, mais aussi sur les lieux du travail. Applicables sur l’ensemble du territoire national pour une durée de 14 jours au départ, ces mesures ont été reconduites continuellement jusqu’à la levée partielle du confinement le 14 juin dernier. Ces mesures ont bouleversé le monde du travail, engendrant une suspension massive des relations de travail et de nombreuses pertes d’emploi, mais également - et c’est la seule conséquence positive - le développement du télétravail.

I - La suspension des relations de travail inhérente à l’arrêt des activités

  • 3 Art. 3 du décret exécutif n°20-69.
  • 4 Art. 5, ibid.
  • 5 Décret exécutif n°20-159 du 13 juin 2020 portant réaménagement du confinement à domicile et des mes (...)

2Le premier secteur à avoir été visé par une suspension quasi totale de ses activités est celui du transport. Tous les services de transport de personnes - aériens, routiers et ferroviaires - ont ainsi été suspendus durant la période de confinement. Seule l’activité de transport des personnels toujours en activité a été maintenue3. S’agissant des activités commerciales, dans un premier temps, les débits de boissons, les restaurants - excepté ceux assurant la livraison à domicile -, les établissements et espaces de loisirs, de divertissement et de spectacle ont été fermés seulement dans les grandes villes4. La fermeture des commerces, à l’exception des commerces alimentaires et des pharmacies - a été étendue à tout le territoire national par le décret n°20-70, tout comme la suspension des moyens de transports des personnes étendue aux taxis individuels. Les secteurs de l’enseignement, les centres de formations, les espaces culturels, les mosquées et tous les lieux de rassemblement, ont également été figés, jusqu’à atteindre le gel quasi-total des activités économiques et de services - hormis ceux assurant les besoins vitaux de la population - à travers une multitude de textes réglementaires subséquents au décret n°20-69. Cette situation a perduré jusqu’à la levée progressive du confinement à compter du 13 juin dernier, date de la promulgation du décret exécutif n°20-1595 portant réaménagement du confinement à domicile et du dispositif de prévention et de lutte contre le coronavirus, à la suite de laquelle on a assisté à la reprise de plusieurs secteurs d’activités liées aux commerces et services, selon le respect strict de mesures préventives. Les transports en revanche n’ont repris que sur les trajets urbains.

  • 6 Décret exécutif n°20-168 du 29 juin 2020 portant prorogation du confinement partiel à domicile et r (...)
  • 7 Décret exécutif n°20-182 du 9 juillet 2020 portant consolidation du dispositif de prévention et de (...)
  • 8 La wilaya est une subdivision administrative algérienne, qui correspond à la préfecture en France.

3Néanmoins, suite à la hausse du nombre de contaminations quotidiennes du Covid-19 a priori générée par le non-respect des mesures de prévention, les pouvoirs publics ont promulgué, le 29 juin, le décret exécutif n°20-168 portant prorogation du confinement partiel à domicile et renforcement des mesures du dispositif de prévention et de lutte contre la propagation du Covid-196. Ce décret a de nouveau suspendu toute activité, pour une durée de 15 jours, dans les centres commerciaux et les lieux de concentration des commerces, ainsi que dans les marchés. En outre, le décret exécutif n°20-182 du 9 juillet 20207 a interdit toute circulation routière inter-wilaya8 dans les 29 wilayas du pays, hormis le transport de personnels et de marchandises. Toutes ces mesures ont engendré une suspension massive des relations de travail pour les salariés des secteurs mis à l’arrêt, mais également d’une grande part des travailleurs de secteurs dont l’activité n’était pas suspendue, mais au sein desquels s’est appliquée une mesure dite de mise en congé exceptionnel rémunéré de 50% du personnel des secteurs public et privé.

  • 9 Loi n°90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail, JORA n°17 du 25 avril 1990, modifié (...)
  • 10 « Coronavirus Algérie : Près de 50000 travailleurs se retrouvent sans emploi », 16 août 2020 : http(...)

4Le régime de la suspension de la relation de travail est organisé par les articles 64 et 65 de la loi 90-11 relative aux relations de travail9. Ne citant pas la force majeure ou une quelconque raison pouvant être assimilée à la situation actuelle, il est prévu que la suspension de la relation de travail engendre naturellement l’arrêt de la rémunération. Ainsi, des travailleurs suspendus avec maintien de salaire - car en congé exceptionnel - ont cohabité avec d’autres travailleurs suspendus sans maintien de rémunération. Selon une enquête du ministère du travail, seulement 25% des travailleurs auraient continué à travailler durant la période de confinement, tandis qu’environ 200 000 travailleurs se seraient retrouvés sans ressources10.

II - Les pertes d’emploi suite au protocole sanitaire

  • 11 Ibid.
  • 12 Décret Législatif n°94-09 portant le dispositif de protection des salariés susceptibles de perdre d (...)

5Dès l’apparition des premiers cas de Covid-19, le gouvernement algérien a adopté un protocole sanitaire visant le confinement sanitaire et la suspension d’activités, ce qui a engendré nombre de pertes d’emploi. Plusieurs entreprises ont procédé à des suppressions d’emplois et à des licenciements collectifs. Malgré le « déconfinement » progressif et la reprise économique à compter du 14 juin dernier, le marché du travail ne s’est pas redressé. Selon l’enquête ministérielle susmentionnée, 50 000 salariés ont ainsi définitivement perdu leur emploi11 et d’autres, à l’avenir incertain, sont suspendus jusqu’à ce que les retombées économiques de la crise décident de leur sort. La loi algérienne organise le recours au licenciement pour des raisons économiques, en contraignant les entreprises à élaborer, par voie de négociation, un volet social qui comprend des mesures de sauvegarde de l’emploi12. Cependant, ce procédé se heurte à de nombreuses embûches, comme la difficulté d’instaurer un cadre propice à la négociation.

III - Le confinement à domicile et ses conséquences sur le travail

6Le décret n°20-70 a instauré le confinement à domicile - partiel ou total selon la gravité de la situation - d’abord dans 19 wilayas considérées, puis dans 29 suite au décret n°20-182. Bien que l’exercice d’une activité professionnelle autorisée soit considéré comme un motif d’exception à la mesure de confinement et à l’interdiction de circuler, cette situation a affecté des catégories professionnelles relevant de l’économie informelle et des travailleurs réguliers empêchés de se rendre sur leur lieu de travail, impactant la rentabilité d’entreprises qui, bien qu’autorisées à travailler, ont du réduire leurs effectifs en raison de la baisse de consommation.

IV - La mise en congé exceptionnel

  • 13 M. Hamadouche, « Le congé exceptionnel durant la pandémie Covid-19 : quel rôle pour le médecin du t (...)

7Le congé exceptionnel rémunéré est une période durant laquelle un salarié est autorisé par son employeur à quitter temporairement son emploi, sans suspension de la rémunération13. Ce congé a d’abord été octroyé via le décret n°20-69 à 50% du personnel des administrations et établissements publics, avant d’être ensuite étendu par le décret n°20-70 aux travailleurs du secteur économique public et privé.

  • 14 Art. 8 du décret n°20-69.
  • 15 Ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme Hospitalière, Instruction ministérielle n° (...)

8Dès lors, la question s’est posée de la légitimité d’imposer aux employeurs la rémunération de travailleurs suspendus et d’aller ainsi à l’encontre des règles de la suspension de la relation de travail, au sens de l’article 65 de la loi sur le travail. Mais la difficulté de cette décision consiste surtout à déterminer les critères sur lesquels se baser pour désigner les travailleurs à mettre en congé d’une part, et ceux à maintenir en exercice d’autre part. Certes, les autorités ont identifié les salariés prioritaires pour bénéficier du congé exceptionnel rémunéré, à savoir les femmes enceintes, les femmes élevant des enfants en bas âge, les personnes souffrant de maladies chroniques et celles présentant des vulnérabilités sanitaires14. Mais il est peu fréquent que l’ensemble de ces personnes réunies atteigne effectivement 50% du personnel d’un établissement ou d’une entreprise. Aussi, la mise en application du congé exceptionnel a engendré des discriminations entre les travailleurs. Par ailleurs, le personnel de santé avait été exclu de la mise en congé exceptionnel, mais à la suite du décès lié au Covid-19 d’une femme médecin enceinte, une instruction ministérielle datée du 3 juin dernier a ordonné l’application de cette mesure aux personnels de santé, en insistant sur la priorité pour les femmes dans leur 3e trimestre de grossesse, et les personnes souffrant de maladies chroniques15.

9Le dispositif du congé exceptionnel a perduré jusqu’à la promulgation du décret exécutif n°20-159. Seules les femmes enceintes et les femmes élevant des enfants âgés de moins de 14 ans ont continué à bénéficier du congé exceptionnel, jusqu’au 31 août 2020, date à laquelle les pouvoirs publics ont annoncé la levée générale du congé exceptionnel rémunéré, concomitamment à l’annonce de la réouverture des écoles maternelles et garderies.

V - L’instauration du télétravail

10Jusque-là limité en Algérie car non prévu par la loi sur le travail, le télétravail s’est fortement développé au moment du confinement sanitaire. C’est le cas, par exemple, des travailleurs et fonctionnaires des secteurs de l’enseignement supérieur, de l’éducation nationale, des délégués médicaux, des représentants commerciaux, des enseignants des écoles privées, etc. Le recours au télétravail a ainsi été mis en place, conformément à l’article 9 du décret n°20-69 qui encourage les administrations et établissements publics - et par la suite les entreprises - à prendre toutes les mesures nécessaires pour développer le travail à domicile.

11Cette situation se réfère au décret exécutif n°97-474 du 8 décembre 1997 fixant le régime spécifique des relations de travail concernant les travailleurs à domicile, mais promulgué bien avant que l’Algérie ne dispose d’un accès généralisé à l’internet. En effet, ce décret qualifie de « travailleur à domicile » tout travailleur qui exerce en son domicile des activités de production de biens, de services ou de transformation, moyennant une rémunération pour le compte d’un ou de plusieurs employeurs, sans recourir à aucun intermédiaire.

12En conclusion, si les mesures entreprises par les pouvoirs publics ont contribué à la maîtrise de la propagation du Covid-19 et ont permis d’atténuer ses conséquences sociales, elles sont aussi porteuses d’inégalités et de confusion. Toutefois, l’une des conséquences positives de la crise sanitaire réside sans nul doute dans le développement du télétravail. Aussi, une réforme de la législation sur le travail semble-t-elle nécessaire.

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Notes

1 Décret exécutif n°20-69 du 21 mars 2020 relatif aux mesures de prévention et de lutte contre la propagation du coronavirus (Covid-19), JORA n°15 du 21 mars 2020.

2 Décret exécutif n°20-70 du 24 mars 2020 fixant des mesures complémentaires de prévention et de lutte contre la propagation du Coronavirus (Covid-19), JORA n°16 du 24 mars 2020.

3 Art. 3 du décret exécutif n°20-69.

4 Art. 5, ibid.

5 Décret exécutif n°20-159 du 13 juin 2020 portant réaménagement du confinement à domicile et des mesures prises dans le cadre du dispositif de prévention et de lutte contre la propagation du Coronavirus (Covid-19), JORA n°35 du 14 juin 2020.

6 Décret exécutif n°20-168 du 29 juin 2020 portant prorogation du confinement partiel à domicile et renforcement des mesures du dispositif de prévention et de lutte contre la propagation du Coronavirus (Covid-19), JORA n°38 du 30 juin 2020.

7 Décret exécutif n°20-182 du 9 juillet 2020 portant consolidation du dispositif de prévention et de lutte contre la propagation du Coronavirus (Covid-19), JORA n°39 du 11 juillet 2020.

8 La wilaya est une subdivision administrative algérienne, qui correspond à la préfecture en France.

9 Loi n°90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail, JORA n°17 du 25 avril 1990, modifiée et complétée.

10 « Coronavirus Algérie : Près de 50000 travailleurs se retrouvent sans emploi », 16 août 2020 : https://www.algerie360.com/20200816-pres-de-50-000-algeriens-ont-perdu-leur-emploi-en-raison-du-coronavirus

11 Ibid.

12 Décret Législatif n°94-09 portant le dispositif de protection des salariés susceptibles de perdre de façon involontaire leur emploi, JORA n°4 du 1er juin 1994, modifié et complété.

13 M. Hamadouche, « Le congé exceptionnel durant la pandémie Covid-19 : quel rôle pour le médecin du travail en Algérie ? », John LibbeyEurotext, 16 juin 2020 : https://www.jle.com/fr/covid19-conge-exceptionnel-role-du-medecin-du-travail-en-algerie

14 Art. 8 du décret n°20-69.

15 Ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme Hospitalière, Instruction ministérielle n°514 du 3 juin 2020 relative à la mise en congé exceptionnel des personnels de santé : http://www.sante.gov.dz/prevention/82-documentation/552-notes-coronavirus-covid-19.html

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Pour citer cet article

Référence papier

Zina Yacoub, « Mesures de lutte contre le coronavirus et relations de travail »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 3 | 2020, 160-163.

Référence électronique

Zina Yacoub, « Mesures de lutte contre le coronavirus et relations de travail »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 3 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/1021 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.1021

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Auteur

Zina Yacoub

Université de Béjaia

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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