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Actualités juridiques internationales
Europe
Royaume-Uni

La Covid-19 vue sous l’angle des croyances philosophiques protégées par le droit britannique sur les discriminations

Jo Carby-Hall
p. 216-221
Traduction(s) :
Covid-19 under the prism of philosophical beliefs in British discrimination law [en]

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Mots-clés :

Europe, Royaume-Uni
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Texte intégral

  • 1 Le Juge de l’Emploi, Mark Leach, décida que la requérante, le défendeur et les pouvoirs publics loc (...)
  • 2 Une audience préliminaire fut convoquée pour déterminer si la croyance de la requérante tombait sou (...)

1Dans l’affaire X v Y1, la requérante invoquait le fait qu’elle subissait une discrimination illégale en raison des « caractéristiques protégées » de sa religion ou de ses croyances, en vertu de la section 10(2) de l’Equality Act de 20102.

I - La croyance de la requérante

2Les éléments constitutifs de la croyance de la requérante étaient formulés de la manière suivante :

  1. « Ma croyance est une croyance philosophique [et] authentique. Je crois fermement qu’elle est importante en ce qu’elle constitue et représente une partie essentielle de la vie et du comportement humain. Le fait d’imposer des limites aux droits d’un individu en raison de ses croyances équivaut à une discrimination illégale [et] en règle générale, [à] une discrimination indirecte ».

  2. « Le 31 juillet, j’ai décidé de ne pas retourner sur mon lieu de travail pour des raisons de santé et sécurité liées à la Covid, très inquiète de la prolifération du virus. Je redoutais d’être contaminée par le virus et ses graves effets, pour moi-même comme pour mon partenaire (considéré comme très vulnérable) ».

  3. « De bonne foi, j’ai présenté à mon employeur une déclaration en ce sens et j’ai affirmé que mes droits étaient garantis par le droit du travail en matière de risques pour ma santé et ma sécurité ainsi que celles de mes collègues, convaincue que ces risques étaient graves et imminents ».

  4. « Mon employeur (le défendeur) m’a annoncé qu’il ne me paierait pas, affirmant qu’il n’acceptait pas que j’ai pu raisonnablement croire que reprendre le travail me placerait, moi et mon conjoint, dans une situation de danger grave et imminent ».

  5. « Le paiement de mon salaire fut suspendu à mon détriment ».

  6. « Je revendique le fait qu’il y a eu discrimination en raison de ma croyance et de ma conviction que le Coronavirus mettrait en danger la santé publique. Ceci s’est d’ailleurs produit au cours de la seconde vague de la Covid-19 qui a vu une prolifération de cas dans tout le pays ». 

II - La position de la loi relative à une croyance philosophique

  • 3 Equality Act 2010, s.10(2).
  • 4 Ibid., s. 10 (3)(a).

3L’Equality Act de 2010 énonce que 3 : « Une croyance est toute croyance religieuse ou philosophique, ou toute référence correspondant à une absence de croyance ». En ce qui concerne la caractéristique protégée, l’Equality Act affirme4 : « Une référence à une personne ayant une caractéristique particulière protégée est une référence à une personne ayant une religion ou des convictions particulières ».

4Il existe, outre la loi précitée, il convient de citer une affaire juridique importante qui détermine les limites et les critères sous-entendus dans la définition du terme « croyance philosophique ».

  • 5 [2010] IRLR 4 §24.

5Ainsi, dans Grainger v Nicholson5, l’Employment Appeal Tribunal (EAT) a posé les cinq critères suivants :

  1. la croyance doit être « authentique » ;

    • 6 Dans McClintock v Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, le tribunal déclare au parag (...)

    ce doit être une croyance et non pas une opinion du moment ou un point de vue « courant basé sur les informations du moment »6 ;

  2. elle doit se rapporter à « un aspect substantiel de la vie ou du comportement humain » ;

    • 7 Voir l’affaire ECHR Campbell and Cosans v United Kingdom [1982] 4 EHRR 293 : « Il faut qu’une croya (...)

    elle doit revêtir un certain niveau de puissance et de sérieux7 ;

  3. elle doit appeler le respect dans une société démocratique, ne pas enfreindre les normes de dignité, ni s’opposer aux droits fondamentaux d’autrui.

III - Analyse du jugement

6Ayant étudié les faits de cette affaire et appliqué les cinq critères susmentionnés de l’affaire Grainger v Nicholson, l’Employment Judge, Mark Leach, arriva aux conclusions suivantes :

    • 8 Affaire X v Y n° 2413947/2020 des 28 novembre 2021 et 8 décembre (en référé).

    S’agissant du critère de croyance authentique, il déclara que la requérante ressentait un peur réelle de contracter la Covid-19 et qu’il lui fallait agir pour se protéger et protéger autrui »8.

    • 9 Ibid., §15.
    • 10 Ibid., §16.

    Pour le second critère, c’est-à-dire une croyance et non une opinion, le juge émit l’opinion que la peur de la requérante ne pouvait remplir les conditions de croyance en vertu de la section 10 de l’Equality Act de 2010 ; il l’évaluait plutôt à « une réaction de peur devant une menace de danger physique, et un besoin d’agir pour l’éviter ou la réduire. La plupart des gens ont des réactions instinctives diverses devant des menaces à leur santé physique, qu’elles soient réelles ou perçues »9. D’après le juge, la soi-disant croyance de la requérante pouvait être décrite comme « une opinion générale basée sur des informations générales sur le virus, circulant à ce moment-là et se diffusant à tel point que certaines mesures, [telles que] la présence sur le lieu de travail, était comprise comme susceptible d’augmenter les risques de contagion. Cependant, la peur de la maladie et les opinions sur les moyens de réduire les risques de contagion ne constituent pas une croyance en vertu de la section 10 »10.

    • 11 Ibid., § 18.
    • 12 Ibid., § 19.
    • 13 Ibid.
    • 14 Ibid., § 20.

    Pour le troisième critère -le poids de la croyance et l’aspect substantiel de la vie et du comportement humain -, le juge estima que la peur ressentie par la requérante ne remplissait pas ce critère, bien qu’il acceptât que « la peur causée par les symptômes de la Covid-19 soit un argument substantiel et de poids. Ce n’est ni un argument mineur, ni trivial. Il s’agit bien d’un aspect de la vie et du comportement humain »11. Le juge estima que les inquiétudes de la requérante étaient déterminées sur le moment par le fait que « la peur ne durera que tant que les dangers causés par la pandémie existeront »12. Les faits relatés dans cette affaire montrent que « [S]a peur se rapportait à elle-même, à sa protection personnelle et à ses actes pour protéger les autres (notamment son conjoint) »13. Le juge estima que la croyance sur laquelle elle s’appuyait n’était autre que cela et conclut ainsi : « C’est pourquoi j’estime que le critère n’est pas rempli »14.

  • Pour ce qui est du quatrième critère, le degré de puissance, de sérieux, de cohésion et d’importance, le juge a reconnu que la description de la croyance était intelligible et compréhensible, et qu’elle remplissait les différents critères énoncés ci-avant. La peur de la contagion et le désir de la requérante d’agir pour éviter la maladie, et pour que d’autres y échappent, satisfaisaient en effet aux critères de sérieux et d’importance, ainsi qu’à celui de puissance.

  • Le dernier critère - que la croyance soit digne de respect dans une société démocratique - était également rempli.

7L’Employment Tribunal a donc décidé que la croyance de la requérante ne remplissait pas les cinq critères requis posés dans l’affaire Nicholson, et ainsi ne méritait pas la qualification de « croyance philosophique » en vertu des dispositions de la section 10 de l’Equality Act.

Conclusion

8L’Equality Act offre à toute personne une protection contre les discriminations en matière de religion, de croyance, d’athéisme ou d’absence de croyance. Ce qui manque dans ce texte, c’est la définition de « religion » et de « croyance », définition donnée par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.

9Il appartient par conséquent aux tribunaux de juger si une religion ou une croyance est protégée en vertu des dispositions de l’Equality Act. En l’absence de définition statutaire de la terminologie, des précisions ont peu à peu été données suite à différentes affaires.

  • 15 Williwmson v Secretary of State for Education and Employment [2005] AC 246(HL).

10Se référant à diverses sources15, J. Burton posa les cinq critères qui déterminent les croyances méritant protection de la loi sur l’égalité. Sans définition appropriée, les individus concernés, employeurs et travailleurs, restent dans l’incertitude.

  • 16 Intitulé « Religion and Belief-Is the Law Working? », 2(1), Introduction.

11Dans son rapport16, la Commission sur l’Egalité et les Droits de l’Homme propose la recherche d’une définition plus précise par l’analyse d’affaires phares, citées comme tiers. La recommandation de la Commission fut la suivante : « Il ne faut rien changer à la définition générale des caractéristiques protégées de religion ou croyance dans l’Equality Act ».

12Liée à tout cela, la pandémie de Covid-19 - ou de ses variants Delta ou Omicron, ou tout autre susceptible de survenir - contraint les employeurs à prendre des décisions difficiles qui pourraient engendrer une augmentation du nombre d’affaires traduites devant l’Employment Tribunal, alors que ce dernier est déjà submergé d’affaires de licenciements économiques, licenciements abusifs, de santé et sécurité, de furlough scheme (système de congés payés et de compensation financière pendant la pandémie), de refus de travail, de télétravail, etc.

13La discussion et l’analyse des affaires susmentionnées illustrent les divergences de jugements dans des affaires identiques ou similaires.

14Néanmoins, le jugement rendu dans X v Y indique aux employeurs le verdict possible pour des affaires identiques ou similaires, ainsi que la marche à suivre pour traiter ces cas et leur facilitant ainsi la tâche.

  • 17 Affaire n° 2423947/2020, op. cit.

15La notion de pandémie et les exigences qui sont apparues dans l’affaire Nicholson - c’est-à-dire que la croyance doit se baser17 sur « l’information actuellement disponible » - méritent d’être analysées. Depuis son apparition au Royaume-Uni, en mars 2020, la Covid s’est métamorphosée. Ce virus était quasiment inconnu à cette date et les progrès de la recherche scientifique en ont amélioré la connaissance. Les variants Delta et Omicron sont venus s’y ajouter, et il est possible que d’autres apparaissent à l’avenir. L’affaire X v Y a été jugée selon l’état actuel de l’information disponible.

16Les juges suivront-ils ce même chemin dans des affaires à venir ? Ou les prochaines affaires seront-elles jugées selon l’état de l’information disponible au moment de l’audience ? De toute évidence, il y a fort à parier que cette seconde option s’imposera.

17Les difficultés causées par les « anti-vaccins » ayant des motifs religieux ou autres n’ont pas encore fait l’objet de saisine de l’ET.

18Des problèmes sont toutefois à prévoir avec la National Institution of Health and Care Excellence (NICE). Probablement que le refus de la vaccination pourrait bien constituer une caractéristique protégée en vertu de l’Equality Act s’il s’avère possible de prouver que la vie entière de l’individu est affectée par cette croyance.

  • 18 Affaire n° 2413947/2021 X v Y [2021] §10(3)
  • 19 Ibid., § 11.

19Le jugement de l’affaire X v Y est une décision de l’ET. N’oublions pas que la requérante avait affirmé qu’elle avait18 « des inquiétudes personnelles et justifiées à propos de la santé et de l’état sanitaire de son lieu de travail en raison de la Covid-19 ». Quand le juge lui a demandé de préciser sa croyance, elle a répondu19 « la peur de contracter le virus et le désir de se protéger et de protéger autrui ».

20Ceci soulève clairement le problème de la santé et la sécurité au travail. Or le juge n’a rien déclaré sur ce point dans son jugement. L’inquiétude relative à « autrui » évoquée par la requérante constituait une « divulgation protégée », alors qu’elle constitue un élément significatif pour le public en général. Y aurait-il là raison de se pourvoir en appel ? De nombreuses affaires relatives à la pandémie ont été traitées. Mais chacun s’accorde à penser que X v Y est la première affaire dans laquelle la peur liée à la Covid-19 a été citée.

  • 20 Pour un étude détaillée, voir J. Carby-Hall, « Ethical Veganism, as a Philosophical Belief, is a Pr (...)

21En résumé, le case law démontre clairement qu’une croyance, pour être jugée « croyance protégée », doit « affecter l’existence entière » (the whole life) d’une personne, c’est-à-dire la manière dont elle choisit de vivre, dont son « idéologie » dicte sa vie20 et dont elle « l’organise ».

22Dans l’affaire X v Y, le tribunal a jugé que les cinq critères requis pour qu’une vie entière soit considérée comme affectée n’étaient pas remplis ; ainsi, la croyance de la requérante ne méritait pas d’être assimilée à une croyance philosophique protégée.

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Notes

1 Le Juge de l’Emploi, Mark Leach, décida que la requérante, le défendeur et les pouvoirs publics locaux, seraient anonymisés dans l’affaire n° 2423947/2020 des 28 novembre 2020 et 8 décembre 2021 (en référé).

2 Une audience préliminaire fut convoquée pour déterminer si la croyance de la requérante tombait sous le coup de la section 10 de l’Equality Act de 2010. Bien que le défendeur ait demandé que l’audience ait lieu par visio en raison de la pandémie, la requérante y a fait objection dans la mesure où les parties allaient discuter d’informations personnelles de nature confidentielle. Le juge a accepté l’objection de la requérante.

3 Equality Act 2010, s.10(2).

4 Ibid., s. 10 (3)(a).

5 [2010] IRLR 4 §24.

6 Dans McClintock v Department of Constitutional Affairs [2008] IRLR 29, le tribunal déclare au paragraphe 45 : « Pour constituer une croyance, il faut un point de vue religieux ou philosophique auquel on croit vraiment, et pas seulement une opinion basée sur une logique réelle ou perçue, ou reposant sur des généralités ou sur un manque d’information ». 

7 Voir l’affaire ECHR Campbell and Cosans v United Kingdom [1982] 4 EHRR 293 : « Il faut qu’une croyance ait un degré suffisant de poids, de sérieux, de cohésion et d’importance ». Voir aussi l’affaire 2AC 846 [2005] House of Lords qui se rapporte à la Convention européenne des Droits de l’Homme, où il fut établi au paragraphe 23 du jugement que : « La croyance doit être compatible avec les normes basiques de dignité humaine et d’intégrité (…) ne doit pas se rapporter à des questions triviales (…). Elle doit être d’un bon niveau de sérieux et d’importance (…). Ce doit être une croyance en un problème fondamental (…). Elle doit être cohérente, c’est-à-dire intelligible et compréhensible. De plus, les croyances d’un individu ne sont pas immuables ou statiques. Les croyances de tout individu sont susceptibles de changer au cours de sa vie. Globalement, il ne faut pas fixer le seuil requis par les critères à un niveau si élevé qui priverait les croyances minoritaires de la protection que la Convention a pour but de leur offrir ».

8 Affaire X v Y n° 2413947/2020 des 28 novembre 2021 et 8 décembre (en référé).

9 Ibid., §15.

10 Ibid., §16.

11 Ibid., § 18.

12 Ibid., § 19.

13 Ibid.

14 Ibid., § 20.

15 Williwmson v Secretary of State for Education and Employment [2005] AC 246(HL).

16 Intitulé « Religion and Belief-Is the Law Working? », 2(1), Introduction.

17 Affaire n° 2423947/2020, op. cit.

18 Affaire n° 2413947/2021 X v Y [2021] §10(3)

19 Ibid., § 11.

20 Pour un étude détaillée, voir J. Carby-Hall, « Ethical Veganism, as a Philosophical Belief, is a Protected Characteristic under British Discrimination Law in an Evolving Society », International Perspectives, Routledge, 2022 (forthcoming).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jo Carby-Hall, « La Covid-19 vue sous l’angle des croyances philosophiques protégées par le droit britannique sur les discriminations »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 1 | 2022, 216-221.

Référence électronique

Jo Carby-Hall, « La Covid-19 vue sous l’angle des croyances philosophiques protégées par le droit britannique sur les discriminations »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 1 | 2022, mis en ligne le 20 avril 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/3338 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.3338

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Auteur

Jo Carby-Hall

Université de Hull

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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