Le coronavirus, nous ne savons pas gérer – et le système de santé?

Editorial
Édition
2021/05
DOI:
https://doi.org/10.4414/phc-f.2021.10394
Prim Hosp Care Med Int Gen. 2021;21(05):141

Affiliations
Président mfe, Médecins de famille et de l’enfance Suisse

Publié le 04.05.2021

«Comment veut-on faire de la politique de santé avec une loi sur l’assurance-maladie?» Telle est la question parfaitement légitime posée il y a de nombreuses années par le doyen suisse des économistes de la santé Heinz Locher. Lorsque l’on se penche d’un peu plus près sur l’histoire et que l’on observe l’évolution de la politique et de l’administration, on arrive à une conclusion effrayante: au lieu de rechercher ensemble le plus grand dénominateur commun possible pour mener à bien la mission (trouver la meilleure solution pour la population), on cherche simplement ce qui ne fait de mal à personne. Mais d’un autre côté, qui ne fait progresser personne.
La construction initiale de la LAMal, de la loi sur l’assurance-maladie, a en réalité été habilement dotée de possibilités autorisant les innovations par ses auteurs. Il serait sans doute exagéré de dire qu’elle les favorise. Le meilleur exemple en sont les modèles alternatifs d’assurance, qui ont permis de véritablement créer de la nouveauté dans le partenariat et la collaboration de quelques assurances avisées et réseaux de médecins de famille créatifs. Aucune autre forme n’a amélioré la qualité des soins de façon aussi marquante, tout en augmentant la satisfaction des médecins de famille dans leur travail. Ce n’est pas par hasard que le Conseil fédéral copie cette construction dans ses mesures visant à freiner la hausse des coûts, en la nommant «premier point de contact». Et c’est précisément ce qui montre que la politique et l’administration méconnaissent un aspect déterminant: l’innovation ne peut ni être ordonnée ni être réglementée.
Revenons-en à la pandémie: en ce moment, nous nous démenons pour administrer de façon optimale les vaccinations. Les médecins de famille et de l’enfance répondent présents avec un grand engagement, comme pour les tests, la prise en charge des malades ou la participation au contact tracing. Nous mettons nos ressources à disposition et serions «la recette pour une lutte efficace contre la pandémie», au même titre que nous sommes «la recette pour une Suisse en bonne santé» s’agissant du système de santé. Seulement voilà: cela n’intéresse manifestement personne. Les trésoriers des caisse-maladies se plaignent en permanence que le travail a un coût. A chaque étape, les cantons réinventent le monde et ce, chacun pour soi, 26 fois en Suisse. Et l’OFSP se cache derrière des formalismes: si nous avons acheté autant de doses de vaccins, nous en injectons tout autant. Et pas plus. Alors que la réactivité et l’anticipation seraient de mise durant la pandémie, les structures échouent. Les administrations ­parfaites en temps normal, comme les connaissent la Suisse et l’Allemagne, sont de toute évidence incapables d’improviser de façon pragmatique dans une situation exceptionnelle.
Les parallèles avec notre système de santé? Depuis des années, des décennies même, on ne fait que bricoler craintivement la LAMal au lieu de faire preuve d’un esprit visionnaire, on ne fait que restreindre et réglementer de plus en plus. Les mesures visant à freiner la hausse des coûts sont le dernier palier franchi vers l’anéantissement de la moindre évolution positive. Main dans la main avec l’administration, les caisses-maladie bloquent toute innovation par crainte que cela puisse coûter quelque chose. Les cantons? Coincés entre leur intérêt personnel et le droit, ils s’agrippent convulsivement à leurs palissades. Conclusion: nous ne savons pas gérer le coronavirus, tout comme nous ne savons pas gérer le système de santé.
Lors de l’une de ses dernières apparitions publiques, Heinz Locher a clairement exprimé ce qui, à ses yeux expérimentés, constitue la base d’un système de santé fonctionnant correctement: les réseaux de médecins de famille qui ont des possibilités de se développer.
Freiner n’a jamais été innovant.
Sandra Hügli-Jost
Responsable ­communication
mfe – Médecins de famille et de l’enfance Suisse
Secrétariat général
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