Dépistage coercitif du Covid-19 en cas de renvoi ou d’expulsion

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Édition
2021/37
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2021.20043
Bull Med Suisses. 2021;102(37):1197-1199

Publié le 15.09.2021

Fin juin 2021, le Conseil fédéral a informé de l’introduction prévue d’une modification de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) concernant les tests de dépistage du Covid-19 lors du renvoi des personnes expulsées de Suisse. Le 11 août, le message correspondant a été adopté. A l’avenir, ces tests pourront être réalisés même contre la volonté de la personne concernée.
La modification de la loi proposée constitue une violation des principes éthiques fondamentaux de la médecine. De plus, en cas de résistance active de la personne concernée, cet acte médical comporte un risque élevé de blessure, dont la proportionnalité doit être vérifiée par le ou la professionnel.le de santé. La présente prise de position examine la révision de la loi du point de vue médical, éthique et juridique et formule des ­recommandations à l’attention des professionnel.le.s de la santé.

Consultation expresse

Le 23 juin 2021, le Conseil fédéral a annoncé une pro­cédure de consultation de seulement deux semaines concernant une modification de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration [1]. L’article 72 de cette loi comprend dorénavant une obligation pour les personnes tenues de quitter le pays de se soumettre à un test de dépistage du Covid-19, ce test pouvant être réalisé même contre la volonté de la personne concernée [2]. Le message [3] et le rapport de la consultation [4] ont été publiés mi-août. Cette nouvelle réglementation devrait être déclarée ­urgente et entrer en vigueur immédiatement; elle devrait être appliquée jusqu’à la fin 2022.

Les modifications prévues dans l’art. 72 LEI

Cette modification fait suite aux exigences de nombreux pays d’origine et de compagnies aériennes qui réclament un test de Covid-19 négatif pour la réadmission ou le transport des personnes expulsées de Suisse. En même temps, de plus en plus de personnes tenues de quitter le pays refusent de se soumettre à un test de dépistage du Covid-19, ce qui est susceptible d’entraver l’exécution de leur renvoi [5]. A ce jour, il n’existe ­aucune base juridique concernant l’obligation de réaliser un test de dépistage. La nouvelle réglementation rend obligatoire le test Covid-19 pour les personnes étrangères [6]. Cette obligation peut être imposée en contraignant la personne concernée à se soumettre à un test contre son gré [7]. En revanche, selon la ­nouvelle disposition, pendant le test de dépistage du Covid-19, «l’intéressé ne doit faire l’objet d’aucune contrainte susceptible de mettre sa santé en danger». Les tests sont effectués par du personnel spécialement formé à cette fin. Celui-ci «utilise le type de test le plus favorable pour la personne concernée» et «ne l’effectue pas» s’il estime que «le test est susceptible de mettre en danger la santé de la personne concernée» [8]. Le Conseil fédéral considère que la nouvelle réglementation ne constitue pas une atteinte grave aux droits de la personne concernée et estime qu’elle est proportionnée [3, 5]. Le Conseil fédéral rejette ainsi les critiques formulées par un certain nombre de parti­cipantes et de participants à la procédure de consultation ainsi que par la Commission nationale pour la prévention de la torture [4].

Critiques et recommandations du point de vue éthique, médical et juridique

Du point de vue de l’éthique médicale, les traitements médicaux et les mesures diagnostiques exigent le consentement libre et éclairé de la personne concernée capable de discernement. L’application de mesures ­médicales sans consentement ou même contre la ­volonté explicite de la personne soulève toujours de sérieux problèmes du point de vue de l’éthique médicale. Cela s’applique également à la réalisation d’un test de dépistage du Covid-19 sous la contrainte à des personnes étrangères devant être expulsées. Les autrices et auteurs du présent article considèrent que la modification de la loi ne tient pas suffisamment compte des principes fondamentaux de l’éthique médicale. L’introduction précipitée de la nouvelle disposition après un délai de consultation de seulement deux semaines, qui ne permet ni un débat approfondi sur la révision du texte de loi, ni une évaluation éthique, médicale et ­juridique minutieuse, ne donne pas satisfaction. Elle ne tient pas assez compte de l’impact de la nouvelle ­réglementation ni d’une certaine légitimation de la contrainte qu’elle sous-entend.
La réalisation d’un acte médical ordonné par les autorités à des fins d’exécution, comme un test de dépistage du Covid-19 dans ce contexte, constitue une activité d’expertise. Si le test est réalisé par une ou un membre du personnel soignant déjà en charge de la personne, la relation de confiance entre le ou la professionnel.le de santé et la patiente ou le patient est alors entravée. L’injonction d’un acte médical par une autorité entraîne une instrumentalisation du ou de la professionnel.le de la santé, ce qui est inacceptable du point de vue de l’éthique ­professionnelle et contredit le principe médico-éthique de l’indépendance des professionnel.le.s de la santé dans l’exécution des mesures. Les directives médico-­éthiques de l’ASSM «Exercice de la médecine auprès de personnes détenues» de 2002 et 2013, qui font également partie du code déontologique de la FMH, stipu­lent que les médecins et le personnel soignant ne peuvent pas introduire des mesures de contrainte sur ordre des autorités [9].
Du point de vue médical, les aspects suivants doivent être pris en compte: la réalisation d’un prélèvement nasopharyngé ou pharyngé ou d’un prélèvement de salive contre la résistance de la personne concernée comporte toujours un risque pour sa santé. Une personne qui se défend activement ne peut être suffisamment maîtrisée sans recourir à une force physique massive ou à l’utilisation de médicaments sédatifs pour garantir que la réalisation du test ne présente aucun risque significatif pour sa santé. Un acte médical réalisé sous la contrainte comporte toujours un risque plus élevé que le même acte effectué sans contrainte; dès lors, les professionnel.le.s de la santé qui réalisent un test de dépistage du Covid-19 malgré la résistance active de la personne concernée assument consciemment le risque médical, ce qui signifie qu’ils acceptent un préjudice actif. Ceci est en contradiction avec l’éthique professionnelle du personnel médical.
La réalisation sous la contrainte d’un test de dépistage du Covid-19 soulève également des questions d’ordre juridique. Le test obligatoire est une atteinte aux droits fondamentaux qui, malgré l’introduction d’une nouvelle disposition légale correspondante, pose des ­problèmes pour des raisons de proportionnalité. Si la réalisation forcée d’un prélèvement provoque des blessures, il peut s’agir d’une atteinte à l’intégrité physique relevant du droit pénal. Le ou la professionnel.le de la santé qui a réalisé le test s’expose ainsi au risque d’une condamnation pénale, associée à une inscription au casier judiciaire. Une telle procédure pénale étant dirigée contre une personne spécifique, la référence à une base légale et éventuellement à un ordre de l’employeur n’est d’aucune utilité pour le ou la professionnel.le de la santé dans la procédure pénale. Ceci tout particulièrement parce que – comme mentionné ci-­dessus – le texte de loi exclut explicitement la réalisation d’un test en cas de risque pour la santé. En conséquence, si le comportement de la personne concernée laisse présager une résistance et un risque élevé de blessures, les médecins ne devraient en aucun cas procéder au test, ne serait-ce qu’en raison de ­possibles menaces de poursuites pénales. C’est le ou la professionnel.le de la santé qui doit évaluer le risque encouru. En cas de doute, il faut renoncer à réaliser le test.
Dans le cas d’un préjudice plus qu’anodin, la personne concernée peut, en plus d’éventuelles poursuites ­pénales, intenter une action en justice pour obtenir des dommages et intérêts et, éventuellement, une indemnité pour tort moral. Toutefois, une action en dommages et intérêts, qui vise directement un.e profes­sionnel.le de la santé qui a procédé à un prélèvement sur ordre de l’Etat, est en principe exclue. Ce n’est pas le ou la professionnel.le de la santé qui est responsable, mais l’Etat.
Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a annoncé qu’il allait instaurer, en collaboration avec le corps ­médical, un groupe de travail chargé d’évaluer le risque d’atteinte à l’intégrité physique en fonction du type de prélèvement et de prendre en compte les enjeux juridiques, médicaux et éthiques. Cette approche orientée vers les solutions doit être poursuivie.

Résumé et conclusion

Pour les raisons susmentionnées, la réalisation d’une mesure médicale sous la contrainte, telle que l’exige l’art. 72 de la LEI, est hautement problématique du point de vue de l’éthique. Selon la méthode de prélèvement, elle peut être associée à un risque élevé de blessure ou mettre en danger la santé de la personne concernée. Toute mesure visant à réduire ces risques, telle que la sédation ou la contention de la personne, est problématique au regard de sa proportionnalité et des principes éthiques professionnels de la médecine.
De plus, si la réalisation d’un test de dépistage du ­Covid-19 sous la contrainte est associée à un danger pour la santé, le ou la professionnel.le de la santé concerné.e s’expose à un risque de poursuites pénales qui ne doit pas être sous-estimé.
Dès lors, il est recommandé au personnel médical des centres de requérants d’asile, des prisons, des cabinets médicaux, des centres de tests, des urgences, des hôpitaux, etc., qui se trouve confronté à une exécution obligatoire du test de dépistage du Covid-19 ordonnée officiellement contre la volonté ou même contre la résistance active de la personne concernée, d’évaluer minutieusement les ­arguments éthiques et juridiques susmentionnés et, en cas de doute, de refuser cette exécution.
Académie Suisse des ­Sciences Médicales (ASSM)
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1 Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration LEI, SR 142.20.
2 Conseil fédéral. Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration: test obligatoire de dépistage du COVID-19 en cas de renvoi ou d’expulsion [internet]. https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-84110.html (accédé le 23.8.2021).
3 Conseil fédéral. Message concernant la modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (test COVID-19 en cas de renvoi ou d’expulsion) [internet]. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67723.pdf (accédé le 23.8.2021).
4 Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), test COVID-19 en cas de renvoi ou d’expulsion: Rapport sur le résultat de la procédure de consultation [internet]. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67727.pdf (accédé le 23.8.2021).
5 Département fédéral de justice et police (DFJP). Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration: test de dépistage du COVID-19 en cas de renvoi ou d’expulsion Rapport explicatif en vue de l’ouverture de la procédure de consultation [internet]. https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67250.pdf (accédé le 23.8.2021).
6 Art. 72 al. 1 projet LEI.
7 Art. 72 al. 1 projet LEI; cette disposition est régie selon les règlements de la loi fédérale sur l’usage de la contrainte et de mesures policières dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération (LUsC, SR 364). Ceux-ci stipulent que l’utilisation de la force physique n’est interdite que si elle cause une atteinte importante à la santé de la personne concernée (cf. art. 13 LUsC).
8 Art. 72 al. 3 et 4 projet LEI.
9 Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM). Exercice de la médecine auprès de personnes détenues. Directives médico-­éthiques. 4e éd. Berne: ASSM; 2018, p. 18. https://www.samw.ch/fr/Publications/Directives.html