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La culture pop dans la péninsule Arabique

Covid‑19, réseaux sociaux et culture pop dans la péninsule Arabique

Covid 19, Social Networks and Pop Culture in the Arabian Peninsula
Frédéric Lagrange

Résumés

La crise pandémique qui s’est abattue sur le monde depuis février 2020 s’est traduite, dans les pays de la péninsule Arabique comme ailleurs, en une grande diversité de productions culturelles médiatisés : chansons, poèmes, plaisanteries, sketches vidéos comiques, mèmes internet, programmes de divertissement diffusés sur les réseaux sociaux ou sur les chaines de télévision officielles et satellitaires, s’inscrivant dans la « culture populaire digitale » de la région. Certaines reflètent les politiques des États face à l’urgence, relayées par des artistes et des « influenceurs » au service spontané ou commandé des autorités. D’autres laissaient observer des réactions individuelles à la crise, exprimant (dans les limites tolérables par une surveillance pointilleuse des discours diffusés) la peur, l’ennui, ou une attitude sarcastique sur les comportements de sociétés obligées de bouleverser leurs habitudes. Que disent ces vidéos, ces mèmes ou chansons de propre aux sociétés de la péninsule Arabique ? Si une partie reproduit dans une déclinaison locale des thématiques planétaires, d'autres formes sont davantage régionales : les « chansons‑corona », sur un ton martial, satirique ou pathétique ; les plaisanteries sur la présence des hommes dans l’espace domestique privé homosocial, ou encore l’encodage du rapport local‑étranger qu’on y retrouve, que l’étranger soit « de l’intérieur », comme le travailleur immigré, qu’il soit le voisin régional allié ou ennemi, ou enfin celui par qui le mal arrive ou qu’il frappe, dans un ailleurs lointain. Cet essai analyse comment ces productions traduisent ou négocient leur décodage des politiques étatiques et des défis posés par la présence de ces « citoyens impossibles » (Neha Vora) dans les monarchies de la région ayant adopté un modèle de gestion des migrations transnationales anti-intégrateur devant une menace sanitaire plaçant l’ensemble de la population face à un même péril. 

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Texte intégral

1La crise pandémique qui s’est abattue sur le monde depuis février 2020 s’est traduite, dans les pays de la péninsule Arabique comme ailleurs, en une grande diversité de productions culturelles médiatisées : chansons, poèmes, plaisanteries, sketches vidéos comiques, mèmes internet, programmes de divertissement diffusés sur Instagram, Snapchat, Tiktok, YouTube ou sur les chaines de télévision officielles et satellitaires. Cet ensemble de productions culturelles qui forme le corpus de cette étude s’inscrit dans la « culture populaire digitale » de la péninsule Arabique. Cette matière peut parfois sembler dérisoire et négligeable ; le but de ce travail sera de suggérer de la signifiance au‑delà d’une apparente insignifiance, en assumant les risques inhérents à cette entreprise, qui sont ceux de la projection ou de la surlecture. Ce que dit Anastasia Denisova des mèmes s’applique aux autres contenus digitaux :

  • 1  Denisova, 2019, emplacement 767/780 sur version Kindle.

Memes as a format do not express any point. It is the users who fill them with sense. From the sociological perspective, memes function as performative acts, each person decides whether to ratify or oppose a specific way of interpreting the situation — and he or she adjust a meme accordingly. By doing this, a user agrees with or redefies the social norms that a meme propagates. Not all memes are explicitly connected with the negotiation of social norms and values — yet even in the cases that seem purely entertaining, the political and the social underlining may be pinpointed.1

  • 2  Hall, 2017.

2Certaines de ces productions reflétaient les politiques des États face à l’urgence, qui se trouvaient relayées par des artistes et des « influenceurs » au service spontané ou commandé des autorités. D’autres laissaient observer des réactions individuelles à la crise, exprimant dans les limites tolérables par une surveillance pointilleuse des discours diffusés sur les réseaux sociaux, qui la peur, qui l’ennui, qui une attitude sarcastique sur les comportements de sociétés obligées de bouleverser leurs habitudes. Le décodage que ces productions ont opéré du discours médical et prophylactique autorisé a pu être, selon les catégories théorisées par Stuart Hall dans le cadre des études culturelles où nous nous situons, un décodage « hégémonique »2, au sens où le récepteur du message dominant « intègre directement et sans restrictions le sens connoté d’informations » qui lui ont été transmises, et donc participe à rendre performatif le discours officiel — par exemple celui sur la distanciation physique, ou le port du masque. Ou bien, toujours selon les catégories de Hall, la position est « négociée », et donc « renferme un mélange d’éléments adaptatifs et oppositionnels », se réservant le droit d’effectuer une application distanciée des préceptes transmis verticalement. L’une des difficultés de ce schéma classique est qu’il est, en quelque sorte, à deux étages : le premier discours à décoder et négocier est le discours étatique, et il se trouve ré‑encodé dans ces productions culturelles, qui elles‑mêmes peuvent être diversement décodées par une réception, quant à elle difficile à estimer. Quant au troisième cas défini par Hall, le décodage « oppositionnel », notons qu’il a peu de place dans l’espace médiatique régional, y compris sur internet — peut‑être est‑ce une bonne chose dans le cas d’une pandémie — on le verra infra. Mais dans tous les cas, ces productions informent sur les dynamiques qui traversent les sociétés de la péninsule Arabique. Cette question du positionnement des productions vis‑à‑vis du discours officiel et d’autre part de la réception de ces productions quand elle se laisse observer (réactions et commentaires sur les réseaux sociaux) constitue le premier axe problématique autour duquel s’organisera cet article.

  • 3  El Khachab, 2017, 2020. El Khachab, 2020, donne une courte bibliographie de la question p. 262, mo (...)

3La collecte et le traitement de cette « matière fuyante », glanée sur un temps limité (huit mois), posent des problèmes méthodologiques certains. La recherche en sciences sociales sur les contenus digitaux des réseaux sociaux et sur les mèmes internet est encore limitée, généralement liée aux media studies, et concernant le monde arabe elle est balbutiante3. L’établissement d’un corpus est tributaire des hasards de la circulation sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision satellitaires, de leur accessibilité, et bien des éléments peuvent nous échapper. Un biais découlant d’une part de l’installation géographique du chercheur — à Abu Dhabi, d’où le risque de surreprésentation des Émirats arabes unis, en dépit de leur rôle effectivement moteur dans la culture digitale de la région, et de sous‑représentation du Qatar — et d’autre part de ses propres réseaux de connaissances et informateurs, est difficile à corriger. Le « filet dérivant » du chercheur a des mailles trop grosses laissant sans doute s’échapper des discours liés au religieux, qu’ils expriment adhésion, défiance ou piétisme, auquel il n’a pas accès.

4Quant à la question de la représentativité, elle est presque insoluble : les chiffres de consultation parfois signalés sur les diverses plateformes doivent‑il en être le seul gage ? Certains éléments ici sélectionnés ont effectivement très largement circulé, d’autres ont été plus confidentiels. Il en résulte un article dans lequel les sources primaires sont légion, les sources secondaires rares et le cadre théorique quelque peu sacrifié : il nous faudra l’assumer. Il est enfin notable que la matière diffusée, au moment de la rédaction de cet article (décembre 2020) tend aujourd’hui à se réduire fortement : la lassitude s’est installée, après une première réaction, universelle, consistant à combattre la peur de la contagion et l’ennui du confinement par le rire, entre mars et mai 2020, parallèlement à l’embrigadement, spontané ou organisé, des artistes et des « influenceurs » pour véhiculer les messages étatiques de prévention — puisque le Golfe est une région du monde dans laquelle cette dernière catégorie est prise fort au sérieux et considérée comme un métier, au point qu’aux Émirats arabes unis il faut une très officielle licence d’État obtenue auprès du National Media Council pour exercer cette occupation parfois lucrative4. À partir de juin 2020, la présence du coronavirus et de la maladie dans les productions culturelles du Golfe, et dans le monde arabe de façon générale, a régressé notablement et est devenue anecdotique. Ce sera peut‑être dans une phase ultérieure, qui n’a pas encore commencé, qu’on verra les transformations engendrées par ce « fait social total » au sens de Marcel Mauss5, concernant tous les membres de la communauté et disant quelque chose de chacun d’entre eux, se refléter dans la production littéraire et audio‑visuelle à grand budget (films, feuilletons télévisés)6. Actuellement, la crise sanitaire est un arrière‑plan des productions spontanées, et non leur sujet. Seules des décisions marquantes, comme par exemple les restrictions extrêmes imposées par l’émirat d’Abu Dhabi à l’entrée, durcies en novembre 2020, réactivent un moment des mèmes ironiques ou désabusés sur les réseaux, comme cette vidéo circulant sur WhatsApp et suggérant qu’un largage en parachute est « la seule solution pour qui veut entrer à Abu Dhabi »7.

5Le second axe problématique est celui de la spécificité : ces plaisanteries, ces vidéos, ces mèmes ont‑ils quelque chose à dire qui soit propre aux sociétés arabes, et plus spécifiquement à celles de la péninsule Arabique ? Une difficulté à laquelle est confronté le chercheur devant cette matière brute est celle d’identifier ce qui ferait une particularité arabe et au‑delà, plus spécifiquement péninsulaire ou golfique dans ces productions, et ce qui serait simplement un encodage local de schémas universels, ne se distinguant d’une production italienne ou birmane (par exemple) que par la langue et le décor. Notre présupposé sera que l’encodage local de l’universel est en lui‑même signifiant, sachant que :

  • 8  Denisova, op. cit. emplacement 1117 de l’édition Kindle.

The humor in memes creates intertextual references that rely on both the cultural heritage of the local society and on the global cultural references. This twofold nature proves that, despite being a global phenomenon of communication, memes nonetheless bear a special local value that depends on regional culture and tradition.8

  • 9  Ce dernier type de contenu nous semble (en prenant en compte les limites et les biais exposés supr (...)
  • 10  Elles ont été légion dès le début de la crise, du Maroc à l’Irak en passant par le Soudan. Shams, (...)
  • 11  Voir Marin, 2020 sur Oman.

6Les mèmes internet produits dans la péninsule Arabe depuis le début de la crise du coronavirus (kurūnā dans son appellation arabe courante) semblent certainement reproduire dans une déclinaison locale des thématiques planétaires : les diverses stratégies adoptées pour répondre à l’ennui du confinement, la compensation par la nourriture et le gain de poids, l’obsession hygiéniste maniaque, ou pour le pire, les contenus complotistes, dont nous ferons l’hypothèse qu’ils sont, dans la péninsule Arabique, liés aux États exerçant un moindre contrôle des réseaux sociaux, soit par tradition de débat (Koweït), soit par la faiblesse de l’État (Yémen)9. Ce type de contenu n’est clairement pas propre à la région, mais ce sont alors les éléments du décor qui sont intéressants à examiner, en ce qu’ils peuvent révéler d’un mode de vie et de sa naturalisation. D'autres formes sont davantage régionales : les « chansons‑corona », sur un ton martial, satirique ou pathétique10 ; les appels au retour à Dieu ; les plaisanteries sur la présence des hommes dans l’espace domestique privé11 usuellement domaine homosocial féminin ; la dénonciation des rumeurs, celle des superstitions et recettes de médecine populaire contre le virus ; le rappel à l’orthopraxie concernant le masque et la distanciation sociale adressé à des couches de la population conçues comme réfractaires. Enfin, une des particularités strictement golfiques, et l’un des angles les plus instructifs pour proposer une première approche de ces productions culturelles transmises sur les réseaux sociaux, est l’encodage du rapport local‑étranger qu’on y retrouve, que l’étranger soit « de l’intérieur », comme le travailleur immigré, qu’il soit le voisin régional allié ou ennemi, ou enfin celui par qui le mal arrive ou qu’il frappe, dans un ailleurs lointain.

  • 12  Vora, 2013.
  • 13  Thiollet, 2016, p. 5.

7Le plan adopté pour cet article croise les deux axes, en examinant dans une première partie l’encodage spécifique à la région de la thématique de l’ennui lié au confinement, et les perturbations particulières qu’il a engendrées. La seconde partie est consacrée au « décodage hégémonique » du discours d’État, et à la délégation implicite donnée par les autorités aux artistes, entertainers et influenceurs pour diffuser dans des formes autres les consignes sanitaires : ce sont donc les « chansons‑corona » et les sketches plus ou moins comiques liés à la prévention et la mobilisation du public qui seront analysés. La dernière partie est quant à elle consacrée à ce qui nous semble spécifique à la région : le rapport à l’étranger tel qu’il se reflète dans les sketchs vidéo et mèmes internet. Il s’agira de voir comment ces productions peu ou indirectement contrôlées par les autorités traduisent ou négocient leur décodage des politiques étatiques et des défis posés par la présence de ces « citoyens impossibles »12 dans les monarchies de la région ayant adopté ce modèle de gestion des migrations transnationales anti‑intégrateur qu’Hélène Thiollet appelle « modèle du Golfe »13, devant une menace sanitaire plaçant l’ensemble de la population face à un même péril.

Les disruptions du confinement et de la distanciation

8Au début étaient la panique et la sidération, rapidement suivies par l’ennui. Les deux « mèmes covid » qui semblent avoir circulé le plus largement dans le monde arabe ne sont pas issus du Golfe, et pourtant entretiennent un rapport avec la région, montrant à quel point les communautés arabes installées dans la péninsule y font résonner les productions de leurs aires d’origine, ou produisent à leur tour depuis leurs lieux de résidence. Le premier, circulant début mars, était un enregistrement sonore anonyme venant du Liban, diffusé par voie de messagerie WhatsApp14. Son passage au statut de mème fut donc (apparemment) accidentel : ce message personnel, par sa nature extraordinaire, devint universel. Une femme mentionnait à son interlocuteur, par voie de message vocal, que son amie Lujayn, passée par Milan et Londres, rentrée à Beyrouth, avait organisé un anniversaire pour ses enfants, puis s’était rendue à un brunch de cinquante dames de la bonne société, avait déjeuné au centre‑ville avant d’aller s’exercer dans sa salle de sport et enfin s’était révélée atteinte par le coronavirus : « Panique totale neswān Bayrūt » commentait l’inconnue, provoquant l’hilarité de toute la région, entre la mention d’un luxueux immeuble de Downtown en train d’être désinfecté à la hâte et l’allusion aux employées de maison philippines saisies par la frayeur. Il faut dire que tous les éléments étaient réunis pour un bon mème : les stéréotypes nationaux, avec la jet‑setteuse libanaise menant un train de vie luxueux dans un milieu privilégié — le mème est concomitant de la limitation des retraits et l’annonce du défaut de paiement de la République libanaise, qui rendra rapidement obsolète ce way of life insouciant, date du 7 mars 2020 —, la supposée inconscience féminine, et l’idée encore forte en ces premiers jours de mars qu’il y avait là quelque exagération dans la réaction — les semaines suivantes se chargeraient de détromper les rieurs, dirait‑on si l’on ne craignait la téléologie. Enfin, sa diffusion au Moyen‑Orient et dans le Golfe devait à la fois au hasard et à la dissémination des diasporas arabes dans la zone Golfe, là où des opportunités d’emploi sont ou étaient présentes. En effet, à la fin de l’enregistrement, l’inconnue dit à son correspondant : « Raconte‑ça à Ghazi, ou plutôt forwarde mon message, car je n’ai pas son numéro saoudien ». On devine aisément que le Ghazi en question s’était empressé à son tour de diffuser le message involontairement comique, le rendant aussi viral que le coronavirus, depuis l’Arabie saoudite vers l’ensemble de la région.

9Ce mème sonore évoquant les futures disruptions de la sociabilité fait écho avec un sketch de Mohanad Hattab [Muhannad Ḥaṭṭāb], un jeune Syrien de trente ans né et élevé aux Émirats, basé à Dubaï, et qui se fait une spécialité depuis 2014 sur lnstagram de créer des personnages féminins tout en imitant divers accents arabes présents dans la cité globale15 où il réside. Dans un sketch du 20 mars16, trois jours avant qu’un confinement national soit décrété aux EAU, Mohannad jouait une de ses caricatures, Tante Ghossoun, vieille Alépine qu’on imagine installée aux Émirats depuis longtemps, et n’ayant qu’une compréhension limitée de ce que signifie l’obligation de restreindre sa vie sociale, invitant toutes ses amies à la maison :

— Ma chérie, ça va comment le corona avec toi ? Non non, on ne s’ennuie pas, on s’invite les unes chez les autres en petit cercle…

lance‑t‑elle avant de mentionner les dizaines de personnes présentes, y compris la parente arrivant juste de Milan, à l’époque synonyme d’épicentre de la pandémie. La caricature de Mohanad Ḥattab signait l’arrivée de cette perturbation majeure que le virus apportait dans les communautés d’expatriés arabes du Golfe, ou du moins leur frange bourgeoise, habitués à une vie sociale intense et aux passages permanents des parents et amis venus du pays ou d’un autre lieu d’installation de la diaspora.

10Second groupe de mèmes‑covid panarabes né en dehors du Golfe et s’y retrouvant néanmoins, illustrant la fonction de plaque tournante de Dubaï, Doha, Jeddah ou Koweït City : les détournements de Bint il‑girān (la fille des voisins), chanson à succès dans la veine de l’électro‑shaabi égyptien dit mahragān. Le titre défrayait la chronique juste avant le virus dans les premières semaines de 2020, alors que le conservateur président du Syndicat des Musiciens au Caire, le vieillissant chanteur de charme Hānī Shākir, vouait aux gémonies Ḥasan Shākūsh, compositeur et co‑interprète de la chanson, en raison d’un texte évoquant alcool et haschich et d’un style musical qu’il jugeait vulgaires, et décrétait l’interdiction des concerts publics de musique de type mahragān17. Malgré cette opposition ou grâce à elle, cette chanson égyptienne a été le succès du printemps dans le monde arabe pendant la première vague de la crise sanitaire et a, d’une part, été détournée avec des paroles évoquant le covid en Irak, en Jordanie, au Liban où en raison de la situation politique les paroles modifiées appelaient le virus à s’en prendre en priorité aux politiques, et d’autre part donné lieu à des jeux de réponse de balcon en balcon, en Égypte mais aussi en Arabie saoudite, sur des vidéos diffusées sur les réseaux, ou dans la courte vidéo Tiktok d’un Indien de Koweït City où la parodie libanaise sert de fond sonore à des vues de Faraheel Market déserté18.

11Mais dans une région où la poésie dialectale est omniprésente dans la culture populaire traditionnelle comme dans sa version « popifiée », c’est aussi en vers qu’on exprime son trouble. L’Omanais ʿAbd al‑Ḥakīm al‑Ṣāliḥī met en garde ses concitoyens le 15 mars 202019, et outre les 80 000 vues sur son compte, c’est par message WhatsApp que son poème me parvient deux jours plus tard, de la part d’amis émiriens — un même document est couramment trans‑plateforme et circule en‑dehors du réseau initial :

Il s’appelle Corona et il ne plaisante pas
Ne te dis pas qu’il ne te touchera pas et ne te réjouis pas
S’il te touche, il résonne fort ! Ou qu’il passe, tu en tituberas
Tu finiras couché à l’hôpital, alors sois raisonnable !
Reste à la maison tranquille, renseigne‑toi sur l’internet
Le Corona ne plaisante pas
Egles fel‑bēt ! (Reste à la maison).

12Le Yéménite Yūsuf Shadhdhān20 imagine à la même période les adolescents refusant de laisser le virus contrarier leur amour dans son pays en guerre — c’est, on le verra, une rare instance de défi dans le discours, quand bien même celui‑ci est fictivement attribué aux jeunes amoureux :

Alors comme ça à cause du Corona
Ils veulent nous enfermer à la maison ?
Quelle bêtise ! apparemment ils ne nous connaissent pas
Nous nous sommes rencontrés alors que pleuvaient les bombes !
Va‑t‑on se séparer à cause du Corona ?
Je l’aime et il m’adore,
Alors dites à ceux qui se préoccupent de distanciation (ahl il‑wigāya) de nous pardonner !
[…]
Vous portez des masques, vous avez désinfecté votre air
Vous êtes en sécurité, alors ne nous dérangez pas.

13À la mi‑avril, les Émiriens, peut‑être lassés de la rigueur relative du confinement, s’échangeaient par voie de WhatsApp ou de Tiktok un autre poème dialectal, déclamé par un étrange amuseur public, Khālid Ḥurriyya (Liberté), à la fois cuisinier, propriétaire de restaurants populaires à travers le pays, président du fan club de l’équipe nationale de football et compère du chanteur ʿAbdallāh Balkhayr, célébrité inter‑golfique plus connue pour ses kandūra‑s aux couleurs extravagantes que la beauté de sa voix :

Le Corona m’empêche de respirer
Je parlais aux gens, maintenant je me parle tout seul
Seigneur, apporte‑nous la fin du Corona
Je n’en peux plus d’être assis sur une chaise ou un canapé
Auparavant je me réveillais à Sharjah et passais la soirée à Khorfakkan
Aujourd’hui je suis enfermé entre quatre murs
Je n’en peux plus, amenez‑moi sur la terrasse
Et vous qui avez des nouvelles du Corona, ça suffit21

14Au début était l’ennui, donc, partout dans le Golfe comme ailleurs dans le monde. Bin Baz, influenceur émirien, dans un court sketch Instagram22 ouvre compulsivement son réfrigérateur, et dessine lamentablement son chat. Ce qui est frappant dans sa mise en scène de soi est son individualité, brouillant la frontière entre le mode de vie des citoyens émiriens et celui des expatriés bourgeois : ce n’est pas là une famille golfique qui est montrée, mais un célibataire seul dans son appartement (et non dans sa villa clôturée), situé dans une tour, où il habite seul, illustration du Dubai way of life qui concerne une frange des Émiriens ; dans la même ville, un instagrameur fortuné (qu’on peut identifier comme un directeur artistique égyptien) se rêve pouvant voyager avec sa famille et recrée le tapis mécanique de l’aéroport de Dubaï avec sa machine à cardio23 ; moins fortuné, le snapchateur saoudien ʿAbbūd bin ʿAfīf se fait un match de boxe familial à la maison24. Un Koweïtien25 se plaint :

Le maximum de liberté à laquelle j’aspire, c’est la cour intérieure de la maison (ḥūsh), explique‑t‑il en faisant allusion au mode d’habitation usuel des classes moyennes dans le Golfe et en Irak, la villa avec une cour, entourée d’un muret. Ce ḥūsh que je ne respectais pas, auquel je n’accordais aucune considération. Il y a des problèmes dans la famille, un de mes frères dit « Pourquoi il y a cinq ans quand vous êtes sortis escalader les dunes vous ne m’avez pas amené avec vous ». L’autre demande, « Si vous ne m’aviez pas appelé Muʿāḏ, quel nom vous auriez choisi ?
—Ils t’auraient appelé Dynamo, parce que vraiment y’a pas plus étrange que Muʿāḏ comme nom ».

15L’interruption des vols internationaux rend le traditionnel séjour à Londres impossible, et Mohannad Ḥaṭṭāb s’en moque dans une plaisante variation sur le thème de ces vacances en Europe26, avec un autre de ses personnages habituels : Ḥiṣṣa l’Émirienne. Il l’imagine bloquée à Londres et séparée de son fiancé27 :

— Les filles, je sens que je n’en peux plus, je vais mourir avec cette quarantaine. Je suis à Londres, Rashshūd [diminutif de Rāshid, prénom très commun aux Émirats] est à Dubaï, je ne peux pas le rejoindre et il ne peut pas venir me voir, j’ai besoin de tendresse, il n’y a que Mary, je vais aller l’attraper et l’embrasser je vous jure !
— Madame, Non ! Non !
— Je plaisante, t’es même pas mon type. Anyway, qu’est‑ce que je voulais dire ? Et puis l’idée que je puisse voir Harrod’s de la fenêtre mais que je ne puisse pas descendre faire du shopping, c’est ça qu’on appelle de la torture !

16Il est par ailleurs troublant que cette moquerie ne provienne pas d’Émiriens mais d’un de ces arabophones nés dans la fédération, ayant assez écouté le dialecte local pour pouvoir en offrir une imitation correcte, jouant en partie sur ces mêmes stéréotypes par lesquels Arabes comme Anglais croquent les ressortissants de la péninsule (résidence à Knightsbridge ou Edgware Road, obsession du shopping) mais en offrant une version féminine, ajoutant à sa propre ambiguïté sexuelle celle de son personnage comique.

17Pendant ce temps, on se bat dans le foyer familial pour accomplir les corvées qui permettent de sortir : sur Instagram, la populaire dessinatrice émirienne utilisant le pseudonyme Danao se précipite vers sa ʿabāya : C’est mon tour d’aller à la coopérative, lance‑t‑elle afin de sortir, plutôt que de tenter de se défiler.

18Mais en même temps, combiner le masque et la shēla, le voile posé sur sa tête, demande une formation, remarque‑t‑elle28, et la chaleur étouffante du Golfe rend le port du masque difficile pour les deux sexes, les couples cherchant un endroit isolé dans les supermarchés pour le retirer tranquillement29.

  • 30  Breteau, 2019.
  • 31  Voir par exemple Ḥulm, 2019.
  • 32  Beaugrand, 2013, p. 217.

19Enfermés, les nationaux découvrent dans leurs maisons des espaces qui appartiennent aux invités — Marion Breteau, dans sa thèse Amour à Mascate30, montre bien la division de la demeure, même modeste, entre zone privée et zone ouverte aux invités, selon des codes genrés. Ainsi, ce mème émirien du 3 avril qui suggère de se rendre, pour changer, dans la pièce réservée aux visiteurs : « Pour changer, fais‑toi belle, mets une ʿabāya  (qu’on ne porte que pour sortir et jamais chez soi avec les siens) et va dîner dans le majlis comme si tu étais une invitée ». Montrer la dernière ʿabāya  à la mode, ses bijoux, se parfumer et rendre visite entre filles et discuter des opportunités de mariage des unes et des autres est un moment essentiel de la vie golfique, comme l’expriment avec éloquence les très nombreux « romans pour jeunes femmes » publiés par des éditeurs spécialisés dans les EAU31. La kashkha (art de l’élégance en public), moment de rivalité et d’affirmation de soi face aux autres et « compétition d’élégance extrêmement vive qui existe entre individus du même sexe »32, n’a de sens que dans une sociabilité devenue hors de portée.

20Mais les hommes ont réintégré le domicile familial, cessant leur comportement de clients d’hôtel. Ainsi cette blague ayant circulé sur les réseaux omanais33 :

Un type dit : j’ai entendu mes enfants demander à leur mère : c’est vrai que maintenant papa habite avec nous ?

21Dans le même esprit, dans une vidéo partagée sur WhatsApp34, un Koweïtien affirme que sa vie confinée va pour le mieux avec sa femme et ses enfants à la maison, tout en faisant passer devant l’écran des cartons où il appelle au secours, disant qu’il veut sortir, il précise que sa femme écoute tout et qu’il reçoit des ordres toute la journée, et demande d’appeler les forces spéciales afin qu’il s’échappe.

22Le confinement signifie que d’une part les hommes ne peuvent occuper l’espace public, qui est socialement naturalisé comme leur étant propre, et doivent réintégrer l’espace privé, ce qui implique de le partager avec les femmes auquel il est traditionnellement attribué, ainsi qu’avec les autres hommes de la famille ; d’autre part, cette présence forcée implique qu’ils sont contraints de participer à l’entretien du domicile. Ainsi l’illustre ce mème sous forme de faux échange WhatsApp, envoyé depuis l’Arabie saoudite :

  • 35  Le service des fils existe néanmoins dans les situations de réceptions et banquets, le plus jeune (...)

23Sur le groupe WhatsApp familial, la mère dit à Badr, prénom masculin, d’aller balayer le salon ; il refuse prétextant qu’il a déjà fait la vaisselle et que c’est à Sulṭān de s’en occuper, lequel répond qu’il a lavé le ḥūsh (la cour de la villa), tandis qu’un troisième fils, Turkī, argumente qu’il a préparé le dîner. Il n’y a plus dès lors qu’à demander au père de famille, qui essaye à son tour de se défiler. La participation des hommes de la famille aux tâches ménagères est un ressort comique qui pourrait sonner très années 1960 en contexte européen ou américain, mais si en croit les romans émiriens auxquels il a été fait allusion supra, elle demeure exceptionnelle puisque l’habitude des fils de se faire servir et de refuser toute tâche ménagère35 est un des sujets de récriminations des jeunes femmes lors de leurs conversations. On peut cependant se demander s’il n’y a pas une mesure de second degré et de jeu conscient sur les stéréotypes dans ces mèmes, dans la mesure où les tâches ménagères anciennement dévolues aux femmes sont, dans les faits, essentiellement assurées par le personnel étranger pour la frange bourgeoise des sociétés du Golfe.

24La redécouverte de l’espace privé du fait du confinement n’affecte pas simplement les dynamiques de genre, elle dévoile aussi la déconnexion entre pères et enfants et entre membres de la fratrie, chacun vivant dans son propre univers à l’extérieur. Ce mème Saoudien fait dire à la superstar de la chanson Muḥammad ʿAbduh, dans une imitation des gros titres des sites people dédiés à la vie des célébrités : « Grâce au confinement, j’ai appris que j’avais dix enfants et non neuf ».

25Une vidéo comique du Bahreïn36, produite par un groupe de comédiens réunis autour d’Aḥmad Sharīf37 et ayant circulé, outre YouTube et Instagram, par voie de messagerie WhatsApp, développe ce motif, mettant en scène la redécouverte par un père de famille de ses enfants, dont il avait oublié jusqu’aux noms. Assemblés au salon comme à une réunion de soutien psychologique, les enfants se présentent au patriarche les uns après les autres, précisant où ils habitent dans la villa familiale.

26L’une des filles de la famille, Munā, a fait des études aux États-Unis :

— Ça alors, en Amérique ? s’étonne le père.
— C’est Munā, celle à laquelle tu faisais des virements, explique la mère.
— Ah c’est elle Munā… Elle a bien grandi… Et tu es laquelle parmi mes enfants ?
— La seconde, répond‑elle, avant d’expliquer où est sa chambre.

Un autre se lève ensuite :

— Avant de me présenter, je suis très fier et surpris d’avoir une sœur qui a fait ses études en Amérique, comment tu as dit que tu t’appelles déjà ? Et je suis encore plus surpris d’avoir un frère qui est dans la même partie de la villa que moi, mais on ne s’est jamais rencontrés parce que je sors toujours par un autre chemin.

Cet ‛Abdallāh, qui est l’ainé, se présente, ironiquement, comme directeur des ressources humaines dans la société où il travaille. Cette pointe comique des auteurs du sketch suggère évidemment qu’à tous les niveaux, les sociétés péninsulaires post‑modernes ont des progrès à faire dans la gestion des relations humaines, sur le plan intrafamilial comme dans la relation à l’extérieur. On le voit dans la pirouette finale : l'employée de maison philippine Mary (jouée par une Bahreïnie qui ne prend pas soin de truquer son accent, la rendant peu vraisemblable) se présente à son tour, et au père lui demandant quelle est sa place parmi ses enfants, elle doit préciser son identité :

— Non non, je ne suis pas votre fille, je travaille ici depuis sept ans. Et je vous ai volés (bugtkum) deux fois, je me suis enfuie (shiradt), vous m’avez rattrapée et fait revenir ici. De toutes manières le dîner est prêt.

  • 38  De Bel Air, Safar & Destremau, 2018.
  • 39  Sur le stéréotype de la runaway maid philippine, voir Guéraïche, 2016.

27Le patriarche semble ignorer tout de ses enfants, y compris les femmes sur lesquelles il a abdiqué son autorité, et le contrôle qu’exercent les membres les uns sur les autres a disparu. C’est évidemment une caricature, mais on y trouve là un écho d’une « tempête sur l’institution patriarcale » soufflant sur la région et repérée par les sociologues38. Le sketch aborde parallèlement une des thématiques qui sera examinée en dernière partie de cet article : le rapport complexe à l’étranger, que la crise met à nu, comme elle met à nu cette aliénation apportée par la richesse dans les sociétés de la rive orientale du Golfe. Alors que la littérature saoudienne, koweïtienne ou émirienne évoque avec nostalgie le temps perdu de la ḥāra ou du frīj, du quartier composé de familles soudées s’entraidant, ce sketch révèle que la cellule familiale, quand bien même elle continue de résider au sein d’une même demeure, est en réalité disloquée. À ce titre, être étranger à sa propre famille ou dépendre des étrangers qui vous volent mais sans lesquels vous ne pouvez vous nourrir ne sont que des variations sur un même motif de l’aliénation, rendu plus sensible par l’enfermement39.

La mise en scène de la lutte contre l’ennemi invisible

28Le point commun des productions présentées précédemment est de s’offrir comme une version localisée de sentiments et réactions universellement observables face aux bouleversements induits par l’urgence sanitaire. Elles sont néanmoins révélatrices de particularités golfiques, comme le rapport à l’espace public et privé, à la famille, et l’effacement progressif des frontières culturelles entre les « locaux » et les populations qu’ils accueillent, et on pouvait y repérer par moments un certain recul vis‑à‑vis des usages sanctionnés par l’autorité ou l’habitude, un moment de réalisation de ce qu’était la « normalité » de la vie dans la région en 2020, et de ce que la crise en disait. Cette seconde partie examinera quant à elle la façon dont les individus se sont faits les vecteurs efficaces du discours officiel dans leurs productions en ligne. Le but n’est pas d’étudier la gestion médiatique de la crise sanitaire par les pays de la péninsule, ce qui serait du ressort de la science politique et des media studies, mais de voir comment la pop culture, en tant qu’agglomération de créations individuelles idéologiquement convergentes, se met consciemment au service des politiques sanitaires des États, en s’imaginant un rôle de conscientisation des masses : l’artiste, le chanteur ou l’amuseur éduque son prochain en tant que chanteur ou clown, savant et concerné par le bien public ; parallèlement, il en tire aussi des gains dans sa carrière. Contrairement au chapitre précédent et au suivant, où les mèmes, vidéos et chansons peuvent être produits aussi bien par des ressortissants de la région ou des étrangers y résidant, ce ne sont ici que les productions des citoyens « légitimes » qui seront analysées.

29Le cas de l’influenceur émirien Khalid al‑Ameri en est une illustration. Né d’un père émirien et d’une mère écossaise, sa chaîne YouTube40 et sa constellation de profils sur les autres plateformes présentent en langue anglaise des « Stories from the Middle‑East to the world », dans lesquelles il se place implicitement en VRP de l’État émirien pour présenter au monde extérieur et aux expatriés résidents un visage avenant, compassionnel et « normal » (dans une perception occidentale) du couple golfique moderne : il porte alternativement jean et T‑shirt ou kandūra, casquette de baseball, turban (ʿaṣma), simple gaḥfiyya ou ghitra formelle, sa femme porte ʿabāya noire et shēla, training siglé Instagram ou chemise bariolée sur pantalon, ses cheveux dépassent toujours de sa coiffe ; ils sont beaux, plaisantent, s’interrompent, affichent une égalité de genre (mari cuisinant et balayant), et de clip en clip « démontent » les mythes et idées préconçues de leur spectator in fabula sur la région, et démontrent avec enthousiasme la normalité globalisée upper middle class de leur Emirati way of life où on salue les réalisations nationales, initie à la cuisson du biryani et paye pour la noce de la nounou philippine — le souci de se montrer généreux envers le personnel de service montre la parfaite assimilation de cet enjeu, pour une réception essentiellement occidentale qui fantasme sa supposée bienveillance envers ces personnels comme ligne de fracture culturelle entre le « nous » occidental (et blanc) et le « eux » arabe, comme le suggère Amélie Le Renard41. La crise sanitaire est l’occasion de rappeler avec un humour un peu répétitif (mari oublieux, épouse obsessionnelle rappelant la règle d’airain) et un fonctionnement de couple modèle de comédie télévisée américaine des années 1970, la trinité gel‑masque‑distanciation42, mais surtout d’exalter les centres de dépistage covid drive‑in, la stratégie vaccinale, l’ouverture vers l’étranger, tout en participant à la reprise de l’économie locale en incitant les touristes à revenir vers Dubaï. Influenceur est effectivement un métier à plein temps, et les presque 900 000 abonnés de la chaîne YouTube ou presque 6 millions d’abonnés Facebook témoignent de la redoutable efficacité du modèle. Le couple Khalid‑Salama, nouveau visage des Émirats jusque dans le métissage du protagoniste, s’affichait sur le Burj Khalifa le 3 janvier 2021.

30La chanson patriotique, un genre vivace dans toute la région arabophone, s’est quant à elle immédiatement emparée de la crise pour assurer la détermination des nations confrontées à la crise. S’agit‑il de « stars au garde‑à‑vous » selon la formule d’Aziz el‑Massassi et Victor Salama ? Les deux chercheurs montrent que d’une génération à une autre, le réflexe politique est le même partout dans la région : « investir le monde de la variété pour vanter le discours officiel […] Au Proche‑Orient, en Afrique du Nord et dans le Golfe, les chanteurs et chanteuses de variétés se complaisent dans l’universelle surenchère sexuelle et consumériste, mais dans une région où les pouvoirs politiques exercent un contrôle social intrusif, leur apparente subversion tranche avec leur allégeance au discours dominant de l’ordre sécuritaire et moral, glorifiant la nation, le régime, son armée et son chef »43. Les deux auteurs développent à raison leur idée d’un faux paradoxe entre l’apparence de subversion liée à l’hypersexualisation du corps féminin dans ces productions et le ralliement aux pouvoirs conservateurs. Dans le cadre très particulier de l’épidémie de covid‑19, s’il y a clairement des « stars au garde‑à‑vous », ce qui est frappant est plutôt que le message de responsabilité n’est pas confié par l’État aux chanteuses, et qu’elles ne s’en saisissent pas d’elles‑mêmes : il peut s’agir d’un hasard, comme on peut se demander si, peut‑être, elles n’auraient pas la crédibilité que le message exige, que ce soit pour l’État commanditaire ou le public. Pour ne citer que les principales, l’exubérante star émiratie‑bahreïnie Aḥlām al‑Shāmsī, qui usuellement chante volontiers les louanges de la famille dirigeante ou celles de la « mère de la nation » (Fāṭima bint Mubārak, veuve du Shaykh Zayed), n’a cependant rien à dire sur le virus et la cohésion de la nation…; la volcanique yéménito‑émirienne Balqīs ne laissera deviner qu’elle chante en temps de crise que par un clip très sage44 adoptant une « esthétique Zoom » (du nom de la plateforme de vidéoconférence). Les seuls corps féminins que l’on observe dans les « chansons‑covid » ne sont pas érotisés mais responsabilisés : ce sont ceux de la mère de famille veillant sur ses enfants, ceux de la docteure et de l’infirmière qui assurent la protection de tous.

31Il est à ce stade difficile de déterminer la part du commissionnement des artistes, par les chaines de télévision nationales et donc plus ou moins directement l’État et le ministère local de l’Information, et celle de l’initiative personnelle permettant d’exister sur l’échiquier local et de renforcer sa légitimité. Partout dans le Golfe, et très rapidement, des montages hâtifs exaltant les gouvernants, l’armée, la police et les professions médicales sont concoctés, avec parfois l’usuel défilé de célébrités du second rang assurant de la cohésion nationale face à l’épidémie. Au Koweït, l’interprète de ballades sentimentales Meṭref al‑Meṭref appelle les citoyens à rifʿaw l‑ʿigāl, à lever le ʿigāl, le cercle surmontant la ghitra, pour saluer les héros agissant de la nation45. À Qatar, le chanteur Fahd al‑Ḥajjājī, spécialisé dans l’ode patriotique, rappelle que « Nous sommes tous responsables »46. En Arabie saoudite, l’immense vedette de la chanson Muḥammad ʿAbduh, surnommé Fannān al‑ʿArab (l’artiste des Arabes) met en garde la nation sur son compte Twitter le 15 mars depuis Jeddah47, et fin juin, le jeune premier ʿᾹyiḍ assure que « Nous avons eu confiance dans la justice divine, et après elle en celle [du roi] Salmān […] la crise n’a fait qu’augmenter la valeur humaine et l’appréciation de la grâce du Seigneur » dans un clip incitant à porter le masque, respecter le confinement et utiliser le gel hydroalcoolique sous les portraits de Salmān et du prince héritier48. Mêmes les rappeurs s’y mettent : le Soudanais de Jeddah Flippter appelle à bien se désinfecter les mains sur fond de comic strip49, puis le même, fin mai, avec trois autres rappeurs soudanais d’Arabie saoudite, se montre gāʿed bil‑bēt (resté à la maison)50, pour boire du thé au lait, jouer à la Playstation ou soulever des haltères. S’agit‑il, pour les acteurs de ce style musical associé dans la péninsule Arabique et le Golfe aux communautés d’origine africaine et arabophone immigrée, de donner gage de patriotisme sanitaire vis‑à‑vis des autorités afin de s’assurer de leur neutralité bienveillante ? Ou le sujet est‑il si consensuel qu’il amène des artistes que l’on n'imaginait pas nécessairement se sentir investis d’une mission à participer à l’édification de leur public, sans espoir de gain ni symbolique ni financier ? En tout état de cause, l’absence de second degré ou de la moindre distance ironique dans ces productions illustre la prégnance du paradigme de l’artiste en tant que conscience du groupe.

32Partout dans la péninsule on appelle à la cohésion nationale, à marcher main dans la main avec docteurs et autorités. Les Émirats de leur côté commissionnent les célébrités du rang A, comme par exemple Ḥusayn al‑Jasmī qui, jouant sur la polysémie du ductus consonantique, chante mettaḥdīn / metḥaddīn (unis et défiants) dans un clip du ministère de la Santé, sous‑titré en anglais, qui semble viser à la fois les citoyens émiriens et les expatriés arabes : les costumes des acteurs et leurs physiques sont conçus pour pouvoir permettre une double identification du public arabophone visé aux acteurs. L’union suggérée est à la fois celle des nationaux et de ceux qui travaillent chez eux / pour eux — unis pour faire face à la maladie, mais, on le verra, pas pour faire face aux conséquences économiques de la catastrophe.

33Le point de départ des campagnes médiatiques de prévention aux Émirats arabes unis, et par la suite des productions culturelles liées à l’effort national, est une intervention du Prince héritier Muḥammad bin Zayed au Qaṣr al‑Baḥr le 17 mars 202051, dans lequel il insiste d’une part sur la « ligne rouge » que représente pour l’État la sécurité alimentaire et médicamenteuse, et d’autre part sur le nécessaire exercice d’une responsabilité collective, partagée par les nationaux et les résidents (cités par deux fois) pour protéger les groupes à risque qui sont « de notre responsabilité » (amāna fī rgābnā) ; l’intervention se conclut par la formule lā tshillūn hamm (ne vous en faites pas) qui deviendra aussitôt le slogan officiel de la lutte anti‑covid aux Émirats et un tag pour réseaux sociaux. On trouve même sur YouTube la vidéo d’un père donnant cette formule comme nom à sa fille tout juste née52, tandis que les internautes l’agonisent d’injures, lui reprochant de chercher les bēzāt (l’argent), y voyant une basse flatterie de mauvais goût. Mais la formule est reprise par la figure tutélaire de la chanson émirienne Mīḥad Ḥamad53, ou derrière lui par les jeunes chanteurs en recherche de reconnaissance, dont Muḥammad al‑Minhālī54. Autre chanson bâtie sur un tag Twitter, celle des deux jeunes chanteurs de charme Muḥammad al‑Shiḥḥī et ʿᾹdil Ibrāhīm qui ne ratent pas cette occasion, pendant le confinement, d’ajouter une chanson apparemment autoproduite à leur répertoire pour relayer les consignes étatiques plus strictement vers la population locale : par son mode de vie où trois générations coexistent au sein de la villa familiale, et où le contact intergénérationnel, même s’il est rompu si on en croit le clip comique bahreïni cité plus haut, va se rétablir, c’est un public qu’il faut protéger en priorité. La légitimité même du pouvoir en dépend : si la décision politique est déléguée par les citoyens aux gouvernants sans droit de regard, et dans les faits sans opposition notable, la contrepartie exigée est l’assurance d’un État‑providence assurant les citoyens de la protection sur tous les plans, et en premier lieu la santé. Le clip55 alterne, comme il est courant dans ce registre national, des images du Shaykh Mohamed bin Zayed, qui pour le public local sera désigné par sa kunya, Bū‑Khālid :

Que Dieu préserve Bū Khālid, il l’a dit dans une réunion
N’ayez pas peur pour les médicaments et l’alimentation
Nous avons une ligne rouge, et les ordres sont obéis
Mon frère compatriote (muwāṭin), nous sommes tous parents (rbāʿa)
Reste à la maison, satisfais‑toi de ce que tu as
Si tu as besoin de sortir, effectue ta course en une demi‑heure
Nous sommes tous une seule main, pour la Patrie
C’est en coopérant que nous vaincrons et repousserons cette épidémie.

  • 56  Les Émirats arabes unis tentent depuis plusieurs années de réduire leur dépendance alimentaire en (...)

34À un moment où on ne sait pas dans quelle mesure les échanges internationaux vont être affectés par une crise dont l’ampleur n’est pas encore mesurable, la question de la sécurité alimentaire est le point du discours de MBZ —ainsi qu’il est couramment désigné par la presse — qui est sélectionné en priorité pour être relayé, car sujet d’inquiétude sur lequel l’État doit rassurer56. Le message vise également à éviter le réflexe du stockage, que le public de la région a déjà vu se produire en Europe. La tranche d’âge visée par ce message est celle des auditeurs des deux chanteurs, celle qui par ses habitudes sociales, aux Émirats comme ailleurs, représente un danger de dissémination auprès des générations plus âgées. Ce qui est remarquable est le choix d’une ballade sur un rythme émirien, le costume national et les gros plans sur les visages avec éclairage faisant briller les yeux, comme pour une chanson sentimentale permettant identification pour le récepteur masculin et parallèlement valeur érotique pour le public féminin.

35Alors que la référence aux autorités et aux États est dominante ailleurs, les artistes yéménites, pour des raisons évidentes de délitement d’une référence étatique unique et centralisée, se singularisent par un ton plus personnel dans leurs exhortations. Le clip du chantre Akram al‑Sanad « Marié au temps du Corona »57 a sans doute, au premier degré, une visée didactique, invitant à annuler les grandes noces qui sont des occasions de transmission du virus. Mais la dimension intertextuelle (l’air est un détournement d’un chant de mariage yéménite connu, Sāʿat al‑Raḥmān ḏa l‑ḥīn / wil‑shayāṭīn ghāfilīn (C’est l’heure de Dieu, les démons sont endormis), le timbre de voix, l’accompagnement musical et le rythme lent sur une mélodie en mode bayyātī confèrent une teinte douce‑amère à la chanson :

Félicitez‑moi chers amis
Et soyez heureux pour moi à distance
Les félicitations et les cadeaux
Envoyez‑les moi par la poste
Ma noce est d’un type unique, soyez avec moi, amis (asṭīǧā, prononce‑t‑il avec son accent du Nord‑Yémen).

36Contrairement au texte de la chanson originale, les démons sont bien présents avec le virus. Il y a pour l’observateur extérieur quelque chose qui est de l’ordre d’un comique involontaire dans cette juxtaposition incongrue des gants en latex et de la janbiyya, le poignard traditionnel, et du turban de mariage avec le masque chirurgical ; mais peut‑être faut‑il n’y ressentir, au‑delà du rappel à l’ordre, que la désolation devant la disparition d’une des seules occasions de réjouissance dans un pays dévasté.

37C’est également du Nord‑Yémen que viennent les chansons à échos religieux, appelant à s’en remettre à la volonté divine et à la prière, seule protection contre le virus quand l’État est défaillant :

Où en es‑tu avec ton seigneur ? Qu’attends‑tu pour revenir à lui ?
Si Dieu est satisfait de nous, que vienne le coronavirus et après lui autre chose
[…] Épargne‑nous le fléau du Corona et guéris‑nous de ce qui est en nous

lance un autre chantre, Salīm al‑Wādiʿī58, entouré de très jeunes filles en hijab, et effectivement la prophylaxie usuelle ne semble pas s’appliquer quand on s’en remet à Dieu puisque dans les images du making‑of qui conclut le clip, personne ne fait semblant de porter un masque.

38Une distinction signifiante s’observe entre les nombreuses chansons strictement locales, et celles à vocation régionale. Poursuivant la consolidation de leur soft power en temps de crise, les Émirats confient encore une fois la tâche de galvaniser les énergies à la superstar Ḥusayn al‑Jasmī, lequel avait déjà participé à sa manière aux élections présidentielles égyptiennes de 2014 avec son immense succès Boshret Khēr59 (Bonne nouvelle), un soutien indirect et peu discret à ʿAbd al‑Fattāḥ al‑Sīsī. Cette fois il se charge d’affirmer la résilience du Golfe en affirmant Benʿaddī (nous passerons le cap)60 : le clip commence par un survol des paysages urbains de la région et de ses tours iconiques (c’est l’urbanité nouvelle du Golfe que le virus menace et non son désert et sa bédouinité identitaire), assorti de déclarations des dirigeants. Entre les gratte‑ciel de Riyadh, de Manama, de Koweït et d’Abu Dhabi et même l’opéra de Mascate, une absence évidente : le front de mer de Doha n’est pas associé au front contre le coronavirus :

C’est une crise et elle va passer,
Nous avons vécu plus dur
Avec l’aide de Dieu nous passerons le cap
Et nous prendrons le dessus.

39La chaîne qatarie al‑Jazeera61, traduisant la vexation de son sponsor, expliquera que la région est bien mal partie si al‑Jasmī se charge de la protéger car il porte la guigne à tous ceux qu’il soutient, comme l’explique un tweeteur local thuriféraire du régime.

40La crise sanitaire est bien l’occasion de dénigrer l’adversaire sur les réseaux sociaux62 et de réaffirmer dans les productions culturelles diffusées sur les réseaux sociaux les aspirations au leadership régional. Ainsi, lors de la neuvième saison de Shāʿir al‑milyūn (le poète du million), concours de poésie dialectale diffusé et financé par Abu Dhabi et au cours duquel rivalisent des candidats venus de l’ensemble de la péninsule et même d’Irak ou du Sinaï (sauf évidemment du Qatar depuis le début de la crise diplomatique), le public, qui souvent est largement décoratif, a été supprimé à partir du dixième épisode, suite à l’interdiction faite par l’Abu Dhabi Cultural Programs and Heritage Festivals Committee (DCT) d’accueillir du public à partir du 3 mars 2020. L’usage du concours est qu’avant de réciter le poème qu’ils présentent au jury pour gagner l’étendard convoité de poète de l’année, les candidats lancent quelques vers tout en se dirigeant depuis les coulisses vers leur siège, dans lesquels ils saluent les Émirats et leur gouvernement (significativement, toujours le Prince héritier Mohamed Bin Zayed). Le coronavirus fait son apparition dans ces vers laudatifs lors de la première séance sans public, le 4 mars, à l’occasion des vers du concurrent saoudien Muṭrib bin Dḥīm63 :

صرخة العُرب تسمع من خلاف المواني
كان: ووهان نارٍ للوباء ما ترمد
يا بو خالد نهضت وقلت هذا زماني
فزعتك فزعة مردد وبلسم مضمد
يوم فزيت واجليت العرب في ثواني
إسمك المعتصم بالله ولا محمد ؟

Le cri des Arabes s’entend, de port en port :
Wuhan est une épidémie incendiaire, qui ne se réduit pas en cendres
Abū Khālid [= Muḥammad Bin Zayed], tu as agi, saisissant ton moment
Ton secours a permis de ramener au bercail les Arabes, tu fus baume protecteur
En te dressant, tu as pu les évacuer en quelques secondes
Ton nom est‑il Muhammad ? ou serait‑il plutôt al‑Muʿtaṣim ?

41Faisant une allusion dans son dernier hémistiche au calife al‑Muʿtaṣim (m. 842) qui alla délivrer la vierge musulmane de Zibaṭra des griffes byzantines, répondant — ainsi que le sait tout bon écolier — à son appel au secours, le concurrent Saoudien salue là la coordination par les EAU de l’évacuation par avion sanitaire de 215 nationaux arabes (Émiriens, Égyptiens, Yéménites, Soudanais et Irakiens) depuis Wuhan vers Abu Dhabi le 3 mars 2020. Le geste n’échappe pas aux citoyens de la région, et le panégyrique du Prince héritier par un poète saoudien dans le principal show culturel « identitaire » de la région sera répété par d’autres concurrents la semaine suivante…

42Mais dans la lutte contre l’ennemi invisible, s’il y a les forces du bien, il y a d’un autre côté les obstacles, l’ennemi intérieur de l’ignorance et de l’incapacité à appliquer les règles. Les amuseurs réencodent sous forme dédramatisée les consignes anxiogènes des autorités : Dubai Television emploie un de ses journalistes pour chanter sur l’air de la chanson folklorique koweïtienne Ṣabbūḥa khaṭabhā Naṣīb (Ṣabbūḥa a été demandée en mariage par Naṣīb et son père est en colère) une fantaisie qui évoque plus les mariages et l’art du kaff (applaudissements cadencés de la chanson koweïtienne) que les épidémies64 :

Le Corona exige de la prudence, mais il n’y a pas de quoi s’épouvanter
Allez dans le nuit, vous qui comprenez (à la place de “vous les amoureux”)
On se salue de loin en loin et on laisse un mètre entre nous
Le corona n’aime pas les postillons et les embrassades ou le frottage de nez
Le corona demande qu’on y prenne garde et qu’on évite la foule

43De leur côté, les deux compères émiriens Khaled « Liberté » et ʿAbdallāh Balkhayr65 se retrouvent pour leurs saynètes habituelles, mais cette fois pas d’embrassades : les deux grands‑pères indignes se mettent en garde :

— J’ai ma canne avec moi
— T’es venu me frapper
— Non, vous êtes bien élevés. Écoute‑moi : je me suis stérilisé les mains, quiconque essaye de me serrer la main, de frotter son nez au mien, j’ai ma canne !

assure le chanteur, là aussi allusion au salut traditionnel par contact du nez, courant partout dans le Golfe, et parallèlement une des premières mises en garde gouvernementales adressés au public local en raison des dangers sanitaires liés à cette pratique.

— Excellent, moi j’ai mon millās, qu’est‑ce que t’en dis ?

assure le cuisinier en brandissant l’ustensile traditionnel permettant de mélanger le harīs national, la purée de blé à la viande bouillie.

44Nous ne sommes pas là dans le monde des influenceurs de Dubaï mais dans celui d’al‑Badāyir, la bourgade perdue entre Sharjah et la frontière omanaise à Ḥattā, le pays profond où ne vivent que locaux et travailleurs indo‑pakistanais, celui auquel s’adressent les deux hommes sur un ton plaisant, relayant sur un mode distancé et débonnaire les consignes sanitaires.

45Mais il faut aussi vaincre l’ignorance, par le sarcasme et la moquerie : l’ignorance des rumeurs, ou celles des « recettes de bonnes femmes ». Suite à la diffusion sur les réseaux sociaux en Oman des recommandations d’une vieille femme appelant à guérir le virus avec une décoction de clous de girofle, de gingembre et de sel66, les tiktokeurs et instagrameurs locaux se sont amusés à mimer la recette. Choc de générations, de milieux socio‑éducatifs, l’arrivée du virus est l’occasion pour la génération friande de réseaux sociaux d’affirmer sa croyance en la modernité scientifique par le refus du fatalisme et du relativisme associé aux femmes et aux générations du passé. Le groupe de comédiens bahreïnis autour d’Aḥmad Sharīf consacre un sketch passablement misogyne67 aux rumeurs supposément lancées par les femmes, imaginant quatre mégères convoquées par un officier pour s’expliquer sur leur recette miracle à base de pomme, chou‑fleur et gingembre, tandis que les réelles élucubrations d’une animatrice de talk‑show féminin koweïtien affirmant que les épices protègent du coronavirus sont moquées par l’instagrameur koweïtien Abū ʿAdnān68. Quant à la fashionista koweitienne Fawz al-Fahd, elle se retrouve devant un juge d’instruction pour avoir vanté sur Instagram les bienfaits d’un imaginaire test de dépistage du virus69.

46C’est aussi une dénonciation de l’ignorance et des supercheries qu’on retrouve dans la websérie la plus récente consacrée au covid‑19. Initialement commanditée par le Conseil Municipal de Seeb, un quartier de Mascate, cette série comique continue sans financement, en espérant trouver l’équilibre grâce aux abonnements à la chaîne Yawmiyyāt Mṣabbaḥ70 (les chroniques de Mṣabbaḥ) sur YouTube.

47Le personnage comique central, Mṣabbaḥ, qui s’exprime en parler de Mascate, ne cesse de prêcher dans son quartier, sa ḥāra, pour faire respecter les règles de distanciation sociale, et se heurte à ses proches, son voisin qui prétend avoir inventé un remède contre le corona et exploite les citoyens crédules qui l’achèteraient, les vendeuses itinérantes, alors même que le pays, comme par ailleurs en Europe, peine à maîtriser la dissémination du virus. Les gags de ces épisodes de trois à six minutes sont ponctués par des effets sonores redondants, avant que le personnage ne délivre la sentence finale, la formule bil‑iltizām, naṣil bi‑ʿUmān ilā barr al‑amān : par un respect strict des consignes, nous aiderons Oman à traverser le cap.

48Une actrice omanaise célèbre dans le Golfe, Amīna ʿAbd al‑Rasūl, accepte de prêter main‑forte à la série très amateur et joue à plusieurs reprises le rôle de Sharīfa la vendeuse de vêtement, qui va de maison en maison présenter sa marchandise, partager ses ragots, et bien sûr ne respecte aucune règle de distanciation : elle ne porte son masque que sous la bouche, comme une barbe — du reste, obligation d’être audible sur la bande sonore, Mṣabbaḥ lui‑même porte plus souvent son masque sous le nez voire sous la bouche que selon la manière correcte qu’il recommande lui‑même. Dans l’épisode du 4 septembre, qui totalise à ce jour plus de 100 000 vues, lorsque Mṣabbaḥ la surprend chez lui en compagnie de son épouse, la dispute éclate :

— Je t’ai déjà mise en garde, tu viens chez moi, dans ma demeure ?
— Eh toi, tu te prends pour le chef du quartier, je suis pas venue de moi‑même, c’est ta femme qui m’a invitée […] et puis qu’est‑ce que tu as, les gens vivent leur vie, tranquillement, à être obnubilé ?
— Obnubilé ? parce que je protège ma famille du virus je suis obnubilé ?
— Nos voisins ont fait un anniversaire, ils ont invité leurs enfants.
— Et Nouba, la fille de Ḥamīda elle s’est mariée et elle a invité tout le monde et il y avait de la musique et de la danse…
[…]
— Ça suffit ! Les gens n’ont pas envie de pouvoir revivre normalement ?

49Mṣabbaḥ se retourne alors vers la caméra pour sortir de la fiction et s’adresser directement à son allocutaire omanais, jouant sur la corde de l’aspiration des citoyens à un retour à la normalité :

— Les mosquées ne vous manquent‑elles pas ? Les moments entre amis ne vous manquent‑ils pas ?

  • 71  Voir à titre d’exemple la chronique d’Ibn Taghrī Bardī (1411‑1470) Al‑nujūm al‑zāhira, Le Caire, A (...)

50Il est frappant que le retour à la possibilité d’une prière collective soit, dans ce sketch de sensibilisation, conçu comme la récompense d’une discipline individuelle. C’est là l’inverse du paradigme comportemental qu’on retrouve dans les chroniques historiques médiévales mentionnant une épidémie, de peste bubonique par exemple : la prière collective, la lecture en assemblée de juz’ du Coran ou des collections de ḥadīth‑s authentiques était la première condition pour repousser la maladie, avec la grâce de Dieu71. Le recours et le retour collectif à Dieu permettait d’espérer qu’Il épargnerait la communauté des croyants. Dans cette perspective moderne, c’est le contraire : la soumission à la biopolitique est condition de l’exercice du religieux.

51On pourrait enfin penser à un discours essentiellement culpabilisant pour les femmes, entre médecine traditionnelle et incapacité à se plier aux règles. Mais l’ironie est que les scénarios de la série sont écrits par une femme, Naʿīma al‑Haṭāliya... C’est peut‑être ce qui explique la pirouette finale : avant de chasser Sharīfa la colporteuse, Mṣabbaḥ ne peut s’empêcher de lui demander si elle a du linge de corps masculin. Mais quand elle refuse de lui vendre quoi que ce soit, en raison de son insolence, il la congédie en lui lançant un humoristique khōda hāfiz, au‑revoir en persan. Cet ajout improvisé (c’est ce que l’acteur nous dit), saisi au vol par l’actrice, la renvoie‑t‑elle à sa lointaine origine iranienne et souligne‑t‑elle l’urgence qu’il y a en Oman à éviter le sort qui frappe l’autre rive du Golfe, qui au moment du tournage était le principal foyer du virus dans la région ?

Du paria au mème : la place de l’étranger

52Si le discours officiel des États de la région prend bien garde d’éviter de pointer d’un doigt accusateur le géant chinois, la censure n’empêche pas nécessairement les individus de traduire leur étonnement devant les habitudes alimentaires de Wuhan. Ainsi ce Koweïtien sarcastique, début avril 202072, mêlant arabe et anglais :

  • 73  Les réseaux sociaux se font l’écho dans les premiers mois de 2020 de l’apparition supposée d’un no (...)

Je suis en train de suivre Twitter, il y a un nouveau trend mondial à propos d’un nouveau virus nommé hantavirus73. On n’en a pas fini du Corona et en voilà un nouveau ! Ils avaient mangé des chauves‑souris, et là ils mangent des rats et voilà que nous sort un nouveau virus nommé hanta. Eux ils mangent et nous on déguste (nitwahhig). Please Mr China, all China, stop eating anything jumping or running or flying around you! » […] Ils ont bousillé (ṭashshrū) l’Italie, ils ont les cheveux blonds et les yeux bleus, ils ont des milliers d’années de civilisation, ils ont mis Rome par terre ! Et tout ça parce que nos amis chinois ont envie de manger des rats et des chauves‑souris !

  • 74  Un vaccin de la firme chinoise Sinopharm est mis à l’essai en juillet 2020 aux EAU et est validé d (...)

53La diatribe informe parallèlement sur la hiérarchie des humains : la Chine est riche et technologiquement avancée, on se tourne vers elle partout pour aider à combattre le mal avec ses tests et ses vaccins74, mais ce que le mot « civilisation » évoque pour le citoyen ordinaire semble demeurer le référent occidental et la blondeur, toute vénitienne qu’elle soit.

54Ce que les mèmes internet permettent aussi d’observer, c’est comment se reflètent les dynamiques relationnelles entre les populations autochtones et exogènes en temps de crise.

55Au tout début du mois d’avril 2020, alors que des mesures drastiques de fermeture des coiffeurs et barbiers sont appliquées depuis le 25 mars à Dubaï — qui avait longtemps résisté à la pression d’Abu Dhabi —, le « tiktokeur »75 et acteur comique Saʿd ʿAbdallāh 76 poste une vidéo satirique qui sera vue par 2.6 millions d’abonnés à travers les Émirats et la péninsule77. Profitant de son physique qui le rend susceptible de passer aussi bien pour un national du sous‑continent indien que pour ce qu’il est, un citoyen émirien, il pousse un peu la vraisemblance physique en jouant dans un de ses sketches satiriques le rôle d’un coiffeur bengali, repérable à son pagne à carreaux, passant dans une rue d’un Dubaï déserté par la crise sanitaire. En surplomb, un de ses compères joue le rôle du client émirien, ayant revêtu une grande blouse grise et contemplant une tondeuse d’un air désolé et confus, ne sachant comment tailler lui‑même sa barbe avec cette perfection millimétrique du tracé qui caractérise la jeunesse golfique. Entendant la vibration de l’appareil, le barbier lève la tête et le client comme le professionnel se reconnaissent.

— Ami ? lance le client émirien, avec la dénomination usuelle des Indiens dont on ignore le nom. Mon barbier favori ?
My love ? réplique le barbier troublé, avant de se prendre le visage dans la main et de se corriger : My customer ?

56Alors que le client baisse ses yeux prêts à pleurer, la bande‑son introduit une ballade romantique chantée par Arijit Singh, un des principaux doubleurs des chansons de films en hindi et bengali, tirée du film Kalank (2019). Le client éclate en sanglots, et Sadik le barbier baisse les yeux. Il regarde sa main gantée, qui soudain se retrouve recouverte de gel fixant, dans un flash back idyllique replaçant les deux protagonistes au salon de coiffure, dans des poses moquant les films romantiques. Mais la ballade s’achève avec le retour au temps présent :

  • 78  Nous utilisons volontairement dans notre traduction les codes de représentation des parlers de typ (...)

Je ne sais pas me raser, se plaint le client Saʿd ʿAbdallāh, utilisant un ressort comique universel, et imitant alors le pidgin Arabic des ouvriers indo‑pakistanais78 :
— Tenir machine bien, par dessous, oui insérer comme ça, oui, tenir par base, oui, non ça pas, tenir par base…
— Comment ? comment ?
— Il peut, il peut, tout il peut inshallah !

Mais quand le jeune Émirati rapproche la tondeuse de son visage et abime la perfection de sa ligne de barbe, il éclate en sanglots.

— Âne ! âne ! Moi savoir toi âne ! lui lance le barbier. Pas problème, pour safety toi, pour safety moi, rester dans maison. Bye Bye.

57La saynète de Saʿd ʿAbdallāh est d’abord une plaisanterie potache : elle joue plaisamment des sous‑entendus homoérotiques (le my love échappant au barbier, les poses romantiques, le gel dans la main, le « tiens par la base », le « insère comme ça ») ; mais ainsi que le peuvent les productions humoristiques, dans leurs interstices plus ou moins volontaires, elle révèle justement par ce choix du sous‑texte homoérotique des dynamiques dominant/dominé recouvrant des lignes de partage ethniques et sociales aux Émirats arabes unis, des inversions de rôle provoquées par la crise Covid‑19, et elle pointe le doigt vers le rapport de dépendance mutuelle liant les Émiriens et les immigrés du sous‑continent indien, en temps normal comme en temps de crise.

58Alors même que le ministre d’État des Affaires étrangères des EAU, Anwar Gargash, affirme en juin 2020 que le modèle économique de la région, employant une très large proportion de main d’œuvre étrangère « sera à reconsidérer » à la lumière de la crise pandémique et qu’« il faudra l’examiner et voir s’il est durable, ou s’il doit être amendé »79, alors que le Koweït envisage très fortement un avenir sans étrangers, les représentants de la société civile que sont les humoristes montrent que la réalisation même de l’hexis corporelle masculine golfique nécessite le service de cet Étranger, et que sa performance de masculinité supposant la perfection de la ligne de pilosité faciale est non seulement impossible sans le dominé, mais que l’émiratisation de la fonction est une utopie d’autant peu souhaitable qu’elle en modifierait l’érotique : se raser, suggère la vidéo, est à se faire raser ce que la masturbation est à la sexualité.

59La perspective apparemment xénophile — ou simplement désabusée — de Saʿd ʿAbdallāh est cependant à nuancer : son personnage de Bengali apparaît dans deux autres sketches tournés en temps de covid‑19. Dans le premier, il annonce devoir partir et se séparer de son patron émirien, heureux de voir ce (supposé) parasite enfin s’en aller, mais sitôt a‑t‑il passé la porte de la villa qu’il rentre par celle du garage80 : le couple indo‑émirien est inséparable, quelle que soit la lassitude mutuelle qu’ils s’expriment ouvertement, suggère l’humoriste. Dans le second, diffusé, au début de Ramadan, le personnage s’exprimant toujours en pidgin Arabic tente d’apitoyer un conducteur émirien (joué par le même compère) pour obtenir de l’argent81 :

— Patron Bon Ramadan, moi il veut ticket pour rentrer pays mais moi seulement vingt dirhams, il veut ticket prix mille dirhams !

Mais quand le bon Émirati lui offre directement l’objet qu’il prétend devoir acheter, l’Indien pleurnicheur change de version et s’invente un nouveau besoin, culminant dans l’absurde quand ce personnage prétend avoir besoin d’un nouveau cœur. Alors un nouveau compère local prétend être prêt à lui donner le sien, que le roublard quémandeur refuse, car il sera trop gros pour lui. Il finit par exploser, exaspéré par ces Émiratis qui refusent obstinément de se laisser abuser et escroquer, tout en faisant preuve d’une générosité sans borne envers les étrangers en temps de carême :

— Si toi il veut donner argent, il donne, si toi il veut pas, pas de blabla beaucoup, c’est Ramadan maintenant, on donne cadeau, pas blabla beaucoup…

60L’une des principales ambiguïtés du message est que la générosité envers l’étranger est laissée à l’appréciation de l’individu citoyen, en cette période de dons qu’est le mois sacré, là où le secteur privé ou pseudo‑privé ne se gêne aucunement pour licencier sans préavis ou refuser de payer les travailleurs du fait de la crise économique découlant de l’urgence sanitaire, ou diminuer les salaires dans des proportions effrayantes, en retirant un tiers ou une moitié. Mais le tiktokeur renseigne ici autant sur l’image de l’Indo‑pakistano‑bengali chez la population locale émirienne que sur la perception que celle‑ci a d’elle‑même dans son rapport à la main d’œuvre immigrée : le Sadik anonyme est partie intégrante du tissu social, une figure familière du frīj golfique, à qui on donne les moyens de vivre dignement, qu’on regarde avec une tendresse de dominant et qui pourtant ne se montre pas toujours aussi reconnaissant qu’on l’espérerait.

61C’est aussi un souffre‑douleur qu’on peut arroser de gel hydroalcoolique quand il vient livrer les produits commandés, comme dans cette caricature du cartooniste émirien Khaled al‑Jabri82 [al‑Jābirī] sur Instagram:

Image 2 : Ça courses de épicerie
Image 4 : Merci !

62Mais ce même caricaturiste n’est pas dupe de l’exhibitionnisme de la générosité envers l’étranger nécessiteux. On peut se demander cependant dans quelle mesure sa dénonciation de l’ostentation individuelle saisit toute sa portée politique, s’il s’avisait de voir dans l’individuel une allégorie du collectif…

63L’indo‑pakistanais peut également être source de risque pour la communauté du fait de la pensée magique qui lui est attribuée. Une vidéo apparemment pakistanaise mise en ligne par l’instagrameur koweïtien Abu ʿAdnān83 illustre le décalage culturel entre croyance superstitieuse (des autres, des musulmans d’ailleurs) et la foi raisonnée du nous golfique, la mise en ligne de la vidéo construisant une opposition entre la religiosité policée des internautes arabes et le héros de la vidéo pakistanaise, un jeune homme au physique de bodybuilder et à la taille imposante qui est arrêté sur son chemin par deux hommes portant un masque chirurgical. Ils lui demandent en urdu où il se rend : à la prière, répond‑il. Quand ils lui tendent un masque, il le repousse sans mot dire et sort sa calotte qu’il se place sur la tête en repartant d’un pas assuré, tandis que le succès d’« Islamic pop » du Britannique Sami Yusuf Hasbi Rabbi recouvre la bande son. Devant le pieux géant pakistanais qui s’en remet entièrement à la providence divine, l’instagrameur koweïtien commente ironiquement « C’est pour ça que je porte une calotte » (ʿashān čidhī anā lbist gaḥfiyya), faisant allusion à son avatar de crise sanitaire :

  • 84  On pourrait aussi comprendre « le gros malin a perdu la boule », en lisant ʿarrīf comme un nom com (...)

64Le premier commentaire juge que « Arif a perdu la boule » (ʿArīf gām yikhūrhā), en employant un prénom indo‑pakistanais standard pour l’inconnu auteur de la vidéo84 ; un autre estime que ce sont des gens qui « comprennent la religion de travers » ; un internaute trouve les moqueries exagérées (al‑taʿlīqāt wāyid over) et réclame un peu de mesure pour un internaute qui avait simplement voulu « embellir l’image de l’islam », comme une bonne intention gauchement réalisée ; un dernier se moque en orthographiant سوبهان الله, allusion à la prononciation déformée par les musulmans du sous‑continent indien de l’arabe Subḥān Allāh, Gloire à Dieu.

65L’exact négatif de cette attitude paternaliste et méfiante assortie de la bienveillance du dominant est la « star de Snapchat » koweïtienne Rim al‑Shammari qui le 28 mai dernier enflammait les réseaux sociaux avec une vidéo fort peu comique, expliquant, face aux protestations d’Égyptiens obligés de quitter le pays suite à leur perte d’emploi ou la réduction de leur salaire : « À l’Égyptien minable qui déblatère et qui s’imagine qu’il vaut un Koweïtien : le Koweït est aux Koweïtiens, franchement, pas aux Égyptiens ! Vous êtes de simples employés, on vous fait venir avec un salaire pour nous servir ! Pourquoi vous ne comprenez pas ? Nous vous faisons venir avec des contrats : vous nous servez et vous dégagez »85. Ainsi s’épanchait‑elle sur un ton menaçant, levant le doigt comme une maitresse d’école, déclenchant une de ces guerres artificielles des réseaux sociaux koweïtiens et égyptiens, où l’on insulte la nation de l’autre, ou bien au contraire on affirme vertueusement la non‑représentativité du fauteur de trouble, en refusant de prendre part au concours d’insultes tout en ajoutant sa part au buzz généré86. La découverte d’une mère égyptienne à la snapchateuse apportait un twist supplémentaire à ce feuilleton tragicomique de début juin87.

66L’artiste graphique koweïtien Muḥammad Sharaf répondait au déversement de xénophobie sur les réseaux sociaux par son masque fort à propos : Ne soyez pas racistes !

67C’est alternativement dans la plaisanterie ou le scandale que les réseaux sociaux laissent parfois transparaître des questions effectivement essentielles pour les sociétés du Golfe comme la place des travailleurs étrangers, alors que la parole y est strictement contrôlée et la e‑répression une épée de Damoclès. Significativement, on ne trouve aucun sketch satirique de résident étranger sur les diminutions de salaire et la préférence nationale ouvertement appliquée depuis l’arrêt de l’activité économique, tant celui qui s’y risquerait ne pourrait le faire qu’en abandonnant tout espoir de retrouver un emploi dans les États du GCC.

68Les lois émiriennes éditées par l’Autorité de Régulation des Télécommunications punissent « les contenus en ligne qui visent ou publient des informations, des nouvelles, des déclarations ou des rumeurs dans le but de ridiculiser, insulter ou ternir la réputation, le prestige ou le statut des EAU ou une quelconque de ses institutions »88. De fait, les rares cas de publications sur les réseaux sociaux prenant à rebours les consignes gouvernementales ou faisant simplement preuve d’un humour peu apprécié des autorités sont payés très cher par leurs auteurs. Le site Instagram de la police de Dubaï89 publie régulièrement des annonces d’arrestations suite à des mises en lignes de posts ou vidéos jugées offensantes. Lors de la période mi‑mars‑début mai 2020, ce sont clairement les posts exprimant une réserve devant la politique sanitaire qui sont visés. Dès le 18 mars 2020, le site met sérieusement en garde les citoyens et résidents contre la diffusion de « fausses nouvelles » et appelle à la délation des contrevenants :

69Les actes suivent rapidement : le 22 mars le site annonce l’arrestation d’un « jeune homme de nationalité européenne » qui a posté une vidéo de lui se promenant sur une plage de l’émirat, puis c’est une influenceuse « européenne d’origine arabe » de Dubaï arrêtée à son tour le 24 mars après avoir appelé ses followers sur Instagram à continuer à faire leur jogging en dépit du confinement décidé par les autorités, et perdant dans la (petite) foulée le soutien de son sponsor, Reebok Middle‑East, qui s’empresse de faire allégeance à l’effort national90. Le 25 mars, c’est un « jeune ressortissant asiatique » qui est arrêté pour avoir filmé et diffusé une vidéo incitant à « sortir, fumer, faire des barbecues, profiter de la pluie en dépit des instructions gouvernementales ». Une agente immobilière iranienne approuve sur cette page Instagram :

Please Arrest Them, give them penalty and deport them from our Beautiful UAE. We are believed [sic] that any decision made by Government about fighting with Virus is helpful and mandatory.

70Sa réaction confirme la thèse centrale de l’étude de Neha Vora sur la classe moyenne indienne de Dubaï, à savoir le fait que

  • 91  Vora 2013, p. 5.

[…] if Indians are not just excluded […] — if they also rehearse citizenship‑like affects and actions — then the division between Emirati and non‑Emirati is actually quite porous, and the disavowal of belonging by Indians themselves becomes all the more necessary for the production of a bounded citizenry91.

  • 92  Ibid. p 172.

71Cet empressement des classes moyennes indiennes ou iraniennes, collectivement installées de longue date dans la région, à rappeler la règle de bon comportement que doit respecter l’étranger — ce qui entre clairement dans les « citizen‑like affects and actions » de Vora — aide effectivement à la « production de l’identité nationale, la croissance économique et les frontières de la citoyenneté et de ce qu’elle exclut92.

72La surveillance des productions culturelles mises en ligne par des étrangers ou des citoyens ne faiblit pas, et parallèlement, la police se sert des réseaux pour faire circuler ses propres vidéos93 : une prise de vue des caméras de surveillance sur l’immense artère Shaykh Zayed Road assurant que les radars serviront à verbaliser les contrevenants au confinement total décidé par la ville. Le 3 avril, c’est un autre « jeune Asiatique » qui est arrêté après diffusion d’une vidéo sur Tiktok montrant le souk de Nayef à Dubaï et ajoutant un doublage son « diffusant de fausses nouvelles suscitant l’inquiétude des citoyens »94. Les 7 et 8 avril, ce sont successivement deux autres « jeunes Asiatiques » qui sont arrêtés, le premier pour avoir filmé des policiers et « ajouté des signes expressifs en vue de moquerie » et le second pour avoir ajouté sur une prise de vue d’un bâtiment officiel des bruits de hurlements de loup. On peut supposer une intention comique soulignant la désolation urbaine en période de confinement, mais les autorités ne sont pas amusées. La surveillance étatique continue en septembre, bien après la fin du confinement : un jeune homme positif à la covid‑19 et probablement asymptomatique se fait arrêter après avoir posté une vidéo où il s’exhibe rompant son confinement obligatoire. L’absence d’une précision sur l’origine du transgresseur laisse ouverte la possibilité qu’il s’agisse d’un citoyen émirien, mais la mention systématique de nationalité en mars‑avril suggère une volonté de mise au pas des étrangers insuffisamment concernés par l’effort national.

73Si de rares images de grèves ou émeutes impliquant des travailleurs étrangers ont pu être diffusées95, la vidéo la plus proche d’une satire de la condition des travailleurs vient d’un Indien du Kérala résidant au Koweït, et qui a été vue plus de 300 000 fois. Sur une mélodie Bollywood, il chante en pidgin Arabic : « Y’a pas argent, Y’a pas manger, moi travailleur ou pauvre ? »96. Le premier commentaire en marge est sans ambiguïté : « Baba, rentre pays », commente un Koweïtien en reprenant le même pidgin, « Pourquoi toi fâché ? Dieu est généreux ».

74Si la détermination nationale face à l’épreuve est assurément une réaction universelle et un message commun à tous les États frappés, le thème de la générosité, envers les siens et envers les autres, est plus clairement un élément culturel propre à la région, avant même Ramadan. La première réaction des industries du spectacle diffusées sur les réseaux aura été de magnifier la nation, dans sa dimension réduite ou au contraire plurielle : ainsi la campagne de l’émirat de Sharjah #greater_than_corona prend garde de mettre en première ligne aussi bien des stars pop locales, comme le chanteur Muḥammad al‑Shiḥḥī, que des résidents, arabophones ou non, pour passer le message nattaḥid jamīʿan, muwāṭinūn wa‑muqīmūn (tous unis, citoyens comme résidents) : la nation se présente comme plurielle face au danger, quand bien même le prix économique ne sera pas le même pour tous…

  • 97  Pagès‑El Karoui, 2020.

75On est là devant une des difficultés auxquelles sont confrontées les nations de la péninsule ayant adopté un modèle économique et politique dans lequel les citoyens de plein droit sont minoritaires, modèle ne pouvant être changé à court terme : en cas de crise grave, le sentiment de responsabilité de l’individu est conditionné à son sentiment d’appartenance à la communauté, à ce patriotisme qu’œuvrent à susciter les productions culturelles examinées au cours de cet article. Mais comment ce sentiment peut‑il être suscité et soutenu par l’État de façon durable dans des sociétés caractérisées par un « cosmopolitisme non‑intégrateur », selon l’expression de Delphine Pagès‑El Karoui97, dominé par de fortes hiérarchies et des logiques d’exclusion des étrangers. Comment le sens de l’intérêt commun peut‑il naître chez ceux qui savent que, parce qu’étrangers et non destinés à intégration, leur présence est conditionnée au seul besoin économique, et que si, en tant qu’étrangers, ils sont collectivement indispensables à la bonne marche du pays, il demeure que chaque individu étranger est sacrifiable ?

  • 98  Il s’agit d’un remake par la Libanaise Nadine Labaki du film italien Perfect Strangers, avec une d (...)

76Au moment d’achever la rédaction de cet article, la première mention de la production d’une fiction cinématographique panarabe prenant pour toile de fond la crise sanitaire liée à la covid‑19 (ainsi que la révolution libanaise) faisait surface dans les médias98. Les productions à grand budget de la péninsule Arabique, elles, semblaient à la traîne. La volonté de contrôle des États sur l’ensemble des productions culturelles, y compris les plus individuelles et les plus modestes produites et diffusées par les réseau sociaux, assortie aux moyens efficaces d’assurer ce contrôle, expliquent peut‑être la sagesse de ces productions, et la domination des contenus à visée didactique et édifiante quand il est question de la crise sanitaire. Cependant, à travers les mailles de ces contenus attendus, au‑delà de la nature apparemment universelle de certaines productions, plaisanteries, ou satires convenues du confinement, des éléments propres à la région transparaissent : d’une part, la réalisation de ce que la quarantaine et l’arrêt imposé des formes usuelles de sociabilité révélait comme altération des structures familiales, voire sur la disparition d’une version traditionnelle du patriarcat. D’autre part, les enjeux de positionnement des artistes vis‑à‑vis de l’État ou des familles princières, qu’ils soient commissionnés ou plus couramment qu’ils devancent la commande et tentent, à la manière des poètes d’antan cherchant de cour en cour un mécène et apportant leur poème de madīḥ, de « gagner des points » en se faisant relais des politiques officielles auprès d’une population inquiète. Enfin, au moment même où les monarchies du Golfe s’interrogent sur la possibilité d’augmenter significativement la part des nationaux dans l’emploi public et privé, la brutale décélération de l’activité économique engendrée par la crise du coronavirus et la perte d’emploi massive pour les travailleurs immigrés ne bénéficiant pas de cette protection absolue qui est propre aux seuls citoyens devait se traduire dans ses expressions immédiates. Sur ce plan, la censure étatique aura été féroce, tant l’enjeu est vital, et ce n’est qu’entre les lignes que peut se deviner cette réalisation collective des sociétés péninsulaires que l’avenir ne peut se concevoir qu’en compagnie de ces « citoyens impossibles ».

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Bibliographie

Sources premières numériques

L’ensemble des documents qui ne sont pas accessibles de manière pérenne sur les plateformes sont déposés dans ce dossier :

Sources premières imprimées et sources secondaires

Barthe, Benjamin, “Au Koweït, les travailleurs étrangers sont accusés de propager le nouveau coronavirus”, Le Monde 26‑05‑2020.

Beaugrand, Claire, « Les vacances en Europe, Univers familial, univers familier des “Golfiens” », Jeunesses arabes, Du Maroc au Yémen : loisirs, cultures et politiques, dir. Laurent Bonnefoy & Myriam Catusse, Paris, La Découverte, 2013, pp. 225‑229.

Borsch, Stuart, “Black Death”, Encyclopaedia of Islam III, Leiden, Brill, 2014 [online edition].

Breteau, Marion, Amours à Mascate, Espaces, rôles de genre et représentations intimes chez les jeunes (Sultanat d’Oman), thèse de doctorat (dir. Stéphanie Latte‑Abdallah), soutenue Université Aix‑Marseille, 08‑07‑2019.

De Bel‑Air, Françoise ; Safar, Jihan ; Destremau, Blandine, « Mariage et famille dans le Golfe aujourd’hui, tempête sur l’institution patriarcale ? », Arabian Humanities 10 (2018).

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Dols, Michael W., The Black Death in the Middle‑East, Princeton, Princeton University Press, 1977.

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El Khachab Chihab, « Est‑ce que ça ne vaut pas mieux que d’être comme la Syrie et l’Irak ? Les caractères nationaux vus par la caricature numérique égyptienne sur Facebook », Culture Pop en Égypte, éd. R. Jacquemond, F. Lagrange, Paris, Riveneuve, 2020, pp. 253‑300.

El Massassi Aziz, Salama Victor, « Des stars au garde‑à‑vous : la pop arabe, écho des raidissements politiques et sociétaux », Maghreb‑Machrek 241 (2019/3), pp. 49‑62.

Guéraiche, William, “Transnational Filipinos in the UAE: Actors and Strategies”, Arabian Humanities 7 (2016).

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Vora, Neha, Impossible Citizens, Dubai’s Indian Diaspora, Durham/London, Duke University Press, 2013.

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Notes

1  Denisova, 2019, emplacement 767/780 sur version Kindle.

2  Hall, 2017.

3  El Khachab, 2017, 2020. El Khachab, 2020, donne une courte bibliographie de la question p. 262, montrant que les travaux portent essentiellement sur le rôle de l’internet dans les révolutions arabes de 2011.

4  Voir https://www.dubaifreezonecompany.com/blog/2020/07/05/uae‑social‑media‑influencer‑license‑in‑dubai‑various‑options‑available/. Beaucoup d’internautes s’étonnaient, en septembre 2020, des sommes dépensées par un couple de résidents syriens de Dubaï pour que le sexe de leur enfant à venir soit annoncé sur l’immense Burj Khalifa lors d’une « gender reveal party » (https://www.youtube.com/watch?v=RjsQZqSFkOA) : il s’agit là d’un exemple de pari sur les revenus à tirer de l’évènement lors de sa diffusion sur les réseaux sociaux, devant couvrir les frais de l’investissement.

5  Mauss, 1923 : « Dans ces phénomènes sociaux « totaux », comme nous proposons de les appeler, s'expriment à la fois et d'un coup toutes sortes d'institutions : religieuses, juridiques et morales — et celles‑ci politiques et familiales en même temps ; économiques — et celles‑ci supposent des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquels aboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions ».

6  On n’observe pas à cette date de fiction arabophone s’étant saisie de la crise comme par exemple la saison 17 de la série américaine Grey’s Anatomy (2020), entièrement centrée autour de la pandémie. Voir cependant le projet annoncé en note 98.

7  Déposé ici : https://www.dropbox.com/s/up5j3mdswtekoti/WhatsApp%20Video%202020-11-05%20at%2013.55.14.mp4?dl=0. En novembre 2020, la liberté de circulation entre les émirats de la fédération est fortement réduite, les entrants vers Abu Dhabi, résidents comme citoyens, devant produire un test PCR négatif de moins de 48 heures, puis en refaire le quatrième jour de présence dans l’émirat, puis encore le huitième jour. Ces tests, qui demeurent aux frais du voyageur, visent à décourager les déplacements de loisir vers Dubaï qui a ouvert ses frontières au tourisme international, et témoignent d’une tension entre les deux émirats rivaux. Les entrants à Abu Dhabi depuis l’étranger sont eux astreints à quinze jours de quarantaine stricte à domicile, avec un bracelet électronique de surveillance. Ces mesures furent allégées le 25 décembre 2020, avec le début des campagnes de vaccination, la quarantaine étant réduite à dix jours.

8  Denisova, op. cit. emplacement 1117 de l’édition Kindle.

9  Ce dernier type de contenu nous semble (en prenant en compte les limites et les biais exposés supra) avoir été plutôt rare dans la région, sans doute du fait de l’extrême surveillance des réseaux sociaux de la part d’États se donnant les moyens de faire respecter leurs interdits. Notons que ce sont des ministres du camp Houthi, au Yémen, qui se sont chargés de répercuter des thèses de ce type (Al‑Rubaidi & Al‑Absi, 2020, p. 4). Parmi ces contenus, citons les déclarations tapageuses de la journaliste koweïtienne ʿᾹ’isha al‑Rushayd, profitant de la relative liberté d’expression de cet État au regard des autres pays de la région, et qui affirme successivement que l’Égypte a trouvé en 48 heures un traitement contre le virus, que la covid est un complot judéo‑maçonnique visant à éliminer les Arabes, ou que les vaccins sont empoisonnés (voir par exemple https://www.elbalad.news/4561934). On notera aussi une vidéo complotiste ayant circulé au Yémen sur WhatsApp début avril 2020 sous forme de « reportage » produit par un émigré yéménite (accent du sud) entrant dans un hôpital du quartier de Queens à New York, prétendant qu’il n’y a pas de malades et que toute la crise est un complot américain. Document déposé ici : https://www.dropbox.com/s/ikvnunldz8p382r/Complotisme-Yemen-USA-2020-04-06.mp4?dl=0.

10  Elles ont été légion dès le début de la crise, du Maroc à l’Irak en passant par le Soudan. Shams, 2020 en fait un bilan au 5 avril [https://ajammc.com/2020/04/05/corona‑arabic‑music/], mais rate du fait de cette publication précoce les deux plus populaires d’entre elles : la Libanaise Elissa appelant Haifa Wehbe en visioconférence et chantant en égyptien ha‑nghannī kamān we‑kamān [https://www.youtube.com/watch?v=u3WVyu64kCg] et surtout le bad boy égyptien Muḥammad Ramaḍān avec le jouissif Corona Virus, osant érotiser la pandémie [https://www.youtube.com/watch?v=L3e4UryXDo0].

11  Voir Marin, 2020 sur Oman.

12  Vora, 2013.

13  Thiollet, 2016, p. 5.

14  Déposé ici : https://www.dropbox.com/s/hnjwnh7bzwmzm8i/Panique%20totale.mp3?dl=0.

15  L’ouvrage collectif éponyme dirigé Marchal, 2001 se concentre sur les liens avec l’Iran et la communauté palestinienne. Il n’y a pas à cette date d’études consacrées spécifiquement aux autres communautés arabes de Dubaï.

16  Déposé ici : https://www.dropbox.com/s/hijz4yzc9zlk5ks/Mohanad%20Hattab‑Ghossoun.mp4?dl=0

17  Chanson : https://www.youtube.com/watch?v=uHBaHQau8b4 ; Affaire Hānī Shākir / Ḥasan Shākūsh : voir https://www.almasryalyoum.com/news/details/1472133 ; Ensemble de détournements déposés ici : https://www.dropbox.com/sh/5cw8leaumvvmxc1/AADAC99knShLxNE11QpMRWoCa?dl=0.

18  https://www.tiktok.com/@muheen_sha_tirur/video/6804030093065850117?lang=fr.

19  https://www.instagram.com/p/B9wiFb7pezQ/.

20  https://z‑p3.www.instagram.com/p/B99s3usnHuN/.

21  Document déposé ici : https://www.dropbox.com/s/90nzqg7paz2fk2q/Khaled%20Hurriyya‑Corona%20Bassi‑19‑04‑2020.mp4?dl=0.

22  https://www.instagram.com/p/B‑XnndsAmeB/.

23  Ce document n’est plus accessible sur ses pages Tiktok et Instagram (@ihabeladly), il est déposé ici : https://www.dropbox.com/s/rv322yxgvrm8ckh/%40ihabeladly‑Dubai%20Airport%20at%20home‑06‑04‑20.mp4?dl=0.

24  Contenu déposé ici : https://www.dropbox.com/s/ztsc6cq6yv4magu/KSA‑Abbud‑Boxing%20Championship‑16‑04‑2020.mp4?dl=0.

25  Contenu déposé ici : https://www.dropbox.com/s/65phhxpjn1j5za5/Koweit‑7ush‑03‑04‑2020.mp4?dl=0.

26  Voir Beaugrand, 2013.

27  Contenu déposé ici : https://www.dropbox.com/s/k5schqndwf98gtx/Hessa%20quarantined%20in%20London.mp4?dl=0.

28  https://www.instagram.com/p/CAzB7tonOQF/.

29  https://www.instagram.com/p/CCToOgTHW57/.

30  Breteau, 2019.

31  Voir par exemple Ḥulm, 2019.

32  Beaugrand, 2013, p. 217.

33  Signalée par le chercheur Mehdi Ayashi lors de la séance du webinaire SOCOSMA, https://www.youtube.com/watch?v=pjSPuI09zvA&list=UU0PQpXNApup3ASFqzuXmU9w&index=6.

34  Document déposé ici : https://www.dropbox.com/s/8xvkv6oepg2wovw/KWT‑prisonnier%20home.mp4?dl=0.

35  Le service des fils existe néanmoins dans les situations de réceptions et banquets, le plus jeune des fils étant supposé servir le café aux hommes, en commençant par le plus âgé. Mais ceci ne concerne pas les tâches ménagères quotidiennes.

36  Document déposé ici : https://www.dropbox.com/s/eu6ljpsbdkdbym0/Bahrain‑received%202020‑04‑03.mp4?dl=0.

37  Le comédien bahreïni Aḥmad Sharīf et ses compères animent en 2019 la websérie Al‑Misbāḥ (le chapelet) [https://www.youtube.com/channel/UCb8gcYU5iCexwnvQlP1P2CA/playlists], dont les 13 épisodes sont produits et sous‑titrés par Mova Production, Manama. Les productions de 2020, dont celles qui évoquent la crise sanitaire, ne semblent pas liées à cette websérie. Certains films sur la chaîne YouTube d’Aḥmad Sharīf agglomèrent des sketchs vidéo de plusieurs provenances, dont Saʿd ʿAbdallāh (voir infra), laissant supposer un réseau ou du moins des canaux de reconnaissance mutuelle entre humoristes de la zone Golfe.

38  De Bel Air, Safar & Destremau, 2018.

39  Sur le stéréotype de la runaway maid philippine, voir Guéraïche, 2016.

40  https://www.youtube.com/channel/UCZE_XnY_UazcRILVru7znDw.

41  Kanna, Le Renard & Vora, 2020, emplacement 1434 édition Kindle.

42  https://www.youtube.com/watch?v=mCnt5i_h3dM.

43  El Massasi & Salama, 2019.

44  https://www.youtube.com/watch?v=mLwOdRL-i_4.

45  https://www.youtube.com/watch?v=fREr41eNNac.

46  https://www.youtube.com/watch?v=oRcnYuQZf40.

47  https://twitter.com/Mohammed_Abdu?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1238972366849540097%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Farabic.cnn.com%2Fhealth%2Farticle%2F2020%2F03%2F15%2Fsaudi-singer-mohammad-abdu-coronavirus-tweet.

48  https://www.youtube.com/watch?v=rroMFwb2VY8.

49  https://www.youtube.com/watch?v=_3GuueJ9ae8. Voir à propos de cet artiste l’article de Mona Kareem dans ce numéro d’Arabian Humanities.

50  https://www.youtube.com/watch?v=2M9TDe5m6Ls.

51  https://www.youtube.com/watch?v=TlBT6nKI22g&t=40s.

52  https://www.youtube.com/watch?v=V5IdCqNcZBA.

53  https://www.youtube.com/watch?v=Xdxb6rF5bDs.

54  https://www.youtube.com/watch?v=uUZnKpDCSaI.

55  https://www.youtube.com/watch?v=4S4JtDMlmiE.

56  Les Émirats arabes unis tentent depuis plusieurs années de réduire leur dépendance alimentaire en encourageant l’agriculture et l’élevage, mais l’immense majorité de l’alimentation consommée demeure importée : « The UAE imports 80 to 90 percent of the food it consumes. Acutely aware of this reality the UAE has implemented a food security strategy to reduce risks associated with unforeseen global supply shortages or price surges and to ensure sufficient food quantities are readily available to feed the population », United States Department of Agriculture, GAIN report, 18‑04‑2019 [https://apps.fas.usda.gov/newgainapi/api/report/downloadreportbyfilename?filename=Grain%20and%20Feed%20Annual_Dubai_United%20Arab%20Emirates_4-18-2019.pdf].

57  Le clip n’est plus disponible sur YouTube. Il est déposé ici : https://www.dropbox.com/s/6g1ddm58becelxm/YEMEN-3aris%20el-Corona.mp4?dl=0.

58  https://www.youtube.com/watch?v=KLVmp5cV4sc.

59  https://www.youtube.com/watch?v=QUBvVTNRp4Q.

60  https://www.youtube.com/watch?v=IS_hJfWUq5Y.

61  https://www.youtube.com/watch?v=AWaaemz6mJc.

62  Ainsi une journaliste saoudienne affirme-t-elle sur Twitter en mars 2020 que le coronavirus est une création qatarie, avant de se rétracter en prétendant avoir fait de l’humour, voir
https://raseef22.net/article/1077396-كاتبة-سعودية-كورونا-صنع-قطري-لعرقلة-السلام-في-الشرق

63  https://www.youtube.com/watch?v=CQrSb0zCxkE.

64  https://www.youtube.com/watch?v=OHmc7fbZRQo.

65  https://www.youtube.com/watch?v=sqgyqW6lWfo.

66  Ensemble de détournements omanais sur la bande son originale déposé ici : https://www.dropbox.com/sh/zvqgfim8nf6w84e/AACqWCrCvEnsIymrcwZE6xdua?dl=0.

67  https://www.youtube.com/watch?v=xGQN4uXBRCw&t=65s.

68  Document déposé ici : https://www.dropbox.com/s/lwuu854bpr9kjk8/Spicy%20Corona.mov?dl=0.

69  https://raseef22.net/article/1077677-كورونا-يحيل-الفاشينيستا-الكويتية-فوز-الفهد-إلى-النيابة-العامة.

70  https://www.youtube.com/channel/UCbBsUT-VBrSQukMqCnqRQcg.

71  Voir à titre d’exemple la chronique d’Ibn Taghrī Bardī (1411‑1470) Al‑nujūm al‑zāhira, Le Caire, Al‑Mu’assasa al‑miṣriyya al‑ʿāmma li‑l‑ta’lif wa‑l‑tarjama wa‑l‑ṭibāʿa wa‑l‑nashr (Turāthunā), 1963, pour l’année 748 de l’hégire (1348), vol. 10, pp. 203‑208. Voir aussi Borsch 2014 et l’ouvrage de référence Dols, 1977.

72  Vidéo circulant par voie de WhatsApp, déposée ici : https://www.dropbox.com/s/2g0jq7gadxoeodi/KWT-China%20stop%20eating%20bats-03-04-20.mp4?dl=0.

73  Les réseaux sociaux se font l’écho dans les premiers mois de 2020 de l’apparition supposée d’un nouvel hantavirus, venant s’ajouter au coronavirus. Il s’agit d’une fausse nouvelle, voir le correctif apporté par l’AFP en avril 2020: https://factuel.afp.com/non-lhantavirus-nest-pas-un-nouveau-virus-avec-un-risque-depidemie-mondiale.

74  Un vaccin de la firme chinoise Sinopharm est mis à l’essai en juillet 2020 aux EAU et est validé début décembre par le ministère de la Santé local, qui annonce 86% d’efficacité.

75  La plateforme chinoise de films courts Tiktok a dominé les réseaux sociaux depuis la crise, disputant à Instagram sa position de leader : un nombre croissant de mèmes échangés par WhatsApp depuis mars sont créés pour ce réseau. La chroniqueuse Sophie Haigney notait dans le Guardian que « Tiktok est le parfait médium pour la capacité d’attention fragmentée en temps de confinement  », https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/may/16/tiktok‑perfect‑medium‑splintered‑attention‑spans‑coronavirus‑lockdown.

76  Saʿd ʿAbdallāh et plusieurs de ses compères sont têtes d’affiche du film comique Khallik shanab (Sois un homme), 2019, dont le scénario inspiré du succès américain Very bad trip est écrit par le cartooniste Khaled Al Jabri, voir infra et qui est lancé simultanément en septembre 2019 dans cinq États de la péninsule : Bahreïn, EAU, Arabie saoudite, Koweït et Oman avant d’être proposé sur la plateforme Netflix, préfigurant cette pop culture cinématographique propre au GCC.

77  https://www.tiktok.com/@dxbxd/video/6811168854354431237?lang=fr.

78  Nous utilisons volontairement dans notre traduction les codes de représentation des parlers de type pidgin dans les productions culturelles populaires de langue française, notamment bande dessinée, ce sketch émirien faisant usage de codes similaires en arabe.

79  https://www.thenational.ae/world/gcc/anwar-gargash-coronavirus-will-weaken-economies-1.1015944.

80  https://www.tiktok.com/@dxbxd/video/6819307955951881478?lang=fr.

81  https://www.tiktok.com/@dxbxd/video/6820006768584690949?lang=fr.

82  https://www.instagram.com/khaledaljabri/.

83  https://www.instagram.com/p/B-Amm52hgtxdDOlT7qk4W96-HOrS2PgWMV_Y-E0/.

84  On pourrait aussi comprendre « le gros malin a perdu la boule », en lisant ʿarrīf comme un nom commun et non le nom propre ʿArīf.

85  tikhdimmunna wi‑tidhlifūn”, vidéo disponible sur des sites multiples dont https://www.youtube.com/watch?v=onF5Gdr6s4c, et multiples réponses à la fois d’« influenceurs » égyptiens et koweïtiens.

86  Par exemple, Koweitiens défendant les Égyptiens https://www.youtube.com/watch?v=iQYWKW4O09s.

87  Voir à propos de cette flambée de racisme au Koweït l’article dans Le Monde de Barthe, 2020.

88  Voir https://u.ae/en/resources/laws, Federal Decree‑Law no. (5) of 2012, on combating cybercrimes, Article 29 : “Shall be punished by temporary imprisonment and a fine not in excess of one million dirhams whoever publishes information, news, statements or rumors on a website or any computer network or information technology means with intent to make sarcasm or damage the reputation, prestige or stature of the State or any of its institutions or its president, vice‑president, any of the rulers of the Emirates, their crown princes, or the deputy rulers of the Emirates, the State flag, the national peace, its logo, national anthem or any of its symbols”.

89  https://www.instagram.com/dubaipolicehq/. L’ensemble des cas auxquels il est fait allusion infra est tiré de ce site.

90  Voir https://www.arabnews.com/node/1646536/lifestyle.

91  Vora 2013, p. 5.

92  Ibid. p 172.

93  https://www.instagram.com/p/B-QJ-cigaWo/.

94  https://www.instagram.com/p/B-hqSKGguEi/. C’est la seule arrestation pour laquelle le pseudonyme du tiktokeur est identifiable sur l’image du site officiel. Le compte de Sardar Husnayn / husni_z laisse observer des vidéos à la gloire de l’action de la police de Dubaï et de Sharjah (voitures de patrouille appelant les passants à rentrer chez eux, utilisation de drones sur la corniche de Sharjah) avant début avril, et des images d’un incendie à Ajman début août laissent penser que ce ressortissant pakistanais n’a pas été déporté, mais plutôt mis en garde pour l’exemple.

95  Voir par exemple https://english.alaraby.co.uk/english/news/2020/5/19/uae-police-arrest-dozens-as-striking-workers-riot, en notant cependant qu’il s’agit d’un journal en ligne possédé par des capitaux qatari, ce qui oriente la présentation des informations en provenance des Émirats.

96  https://www.tiktok.com/@jeykemananthavady40/video/6826815782362631429?source=h5_m.

97  Pagès‑El Karoui, 2020.

98  Il s’agit d’un remake par la Libanaise Nadine Labaki du film italien Perfect Strangers, avec une distribution prestigieuse égypto‑libanaise, voir entre autres https://www.arabnews.fr/node/46461/culture.

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Table des illustrations

Titre Figure 1.
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Titre Figure 8.
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Titre Figure 15.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Lagrange, « Covid‑19, réseaux sociaux et culture pop dans la péninsule Arabique », Arabian Humanities [En ligne], 14 | 2020, mis en ligne le 24 février 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/cy/6300 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cy.6300

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Auteur

Frédéric Lagrange

Sorbonne Université / CEFREPA

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