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Introduction

La couverture journalistique internationale du coronavirus (SARS-CoV-2) débute en janvier 2020 suivant la détection des premiers cas en Chine. Au Canada, le traitement médiatique porte alors essentiellement sur l’annulation des festivités du Nouvel An chinois et sur la mise en confinement de la ville de Wuhan, le berceau de ce qui deviendra la première pandémie mondiale à survenir en un siècle (Organisation mondiale de la Santé [OMS], 2020).

Devant la propagation fulgurante du virus, de nombreux pays déclenchent l’état d’urgence sanitaire (Baert & Milasin, 2020), mais les stratégies de santé publique mises en place diffèrent grandement entre les pays, et même à l’intérieur de chacun de ceux-ci, ce qui suscite parfois polémique et confusion au sein de la population. Lorsque la pandémie de COVID-19 est officiellement déclarée, les autorités de santé publique canadiennes, qui s’étaient faites jusqu’alors rassurantes quant aux risques de contamination et de propagation du virus au pays, changent de ton et intensifient leurs actions. Le Québec, qui sera la province canadienne la plus durement touchée lors des premiers mois de pandémie (Gouvernement du Canada, 2020), impose une série de mesures restrictives incluant la fermeture des écoles, des commerces non essentiels et de plusieurs régions jugées particulièrement critiques. On assiste alors à une crise sanitaire, économique et sociale qui engage les médias d’information dans une éclipse médiatique inédite : toutes les nouvelles tournent autour de la pandémie et de ses effets. « Les médias voient alors leur rôle de chiens de garde de la démocratie et d’informateurs en chef renouvelé et prendre une importance névralgique, surtout à l’ère des fausses nouvelles et de la désinformation » (Lalancette & Lamy, 2020).

Plongé dans cette situation hautement anxiogène, le public cherche par tous les moyens à comprendre le présent et à anticiper l’avenir, alors que les risques de dérapages sont importants quand il s’agit d’informations relatives à la santé selon Caron-Bouchard et Noiseux (2010) qui insistent sur l’importance « de la divulgation d’une information de qualité, crédible, objective, validée scientifiquement » (p. 360). Or le phénomène de désinformation déjà observé lors de récentes épidémies (Abramowitz et al., 2017; Smallman, 2015) perturbe comme jamais l’écosystème informationnel en raison du nombre, de la diversité, de la portée et des impacts des nouvelles erronées ou trompeuses qui sont véhiculées (Monnier, 2020). L’OMS appelle à une action coordonnée pour contrer cette « infodémie »[2] (contraction des mots information et épidémie). L’OMS estime que cette épidémie de désinformation est un deuxième ennemi à combattre puisqu’elle nuit au public dans sa quête d’informations de confiance et complexifie la conduite des interventions d’urgence.

En tenant compte de ce contexte, l’objectif de notre recherche consiste à explorer comment les pratiques professionnelles des journalistes du Québec ont été affectées par la pandémie et comment ces bouleversements ont pu affecter la qualité de l’information livrée au public. Grâce à une série d’entretiens semi-dirigés réalisés auprès de neuf professionnels de l’information qui ont couvert activement l’actualité de la COVID-19 dans les premiers mois de la pandémie, nous verrons, dans cet article, que des défis préexistants ont pris de l’ampleur, telle que la vitesse de production de l’information requise, la surcharge de travail et les difficultés relatives à l’accès aux sources. De nouvelles réalités s’ajoutent à ces enjeux : celles du journalisme en confinement et du journalisme de terrain en zone potentiellement contaminée.

1. L’effet des pratiques journalistiques sur la qualité de l’information

On dit souvent que l’information est le nerf de la guerre en santé publique (Institut national de santé publique du Québec [INSPQ], 2020b), car c’est sur elle que sont fondées les décisions des autorités publiques et que la population s’appuie pour forger son opinion. L’accès à une information qui donne l’heure juste est aussi nécessaire pour permettre au public de saisir tous les enjeux et de s’adapter puisque, comme le révèle une étude multidisciplinaire, le niveau global d’anxiété est trois fois supérieur à ce qu’il était avant la crise sanitaire au pays, en raison notamment de la désinformation et d’un faible sentiment de cohérence, caractérisé par la capacité à comprendre une situation, à lui donner un sens et à trouver des solutions pour y faire face (Généreux et al., sous presse; Millette, 2020). Pour l’UNESCO (2020a), l’accès à des informations « vérifiées et exactes » peut même être « une question de vie ou de mort » en période de pandémie, particulièrement à un moment où les stratégies de santé publique reposent largement sur l’adoption de comportements préventifs et l’adhésion populationnelle. Ainsi, une grande responsabilité est dévolue aux journalistes pour la production d’une information de qualité, alors que le contexte de production de la nouvelle est lui-même bousculé par la crise sanitaire et ses répercussions sociales et financières.

L’information dite « de qualité » est difficile à définir (Bernier, 2004; Dubois, 2016; Marcotte, 2008). Il s’agit d’un concept subjectif dont les critères peuvent varier selon la personne qui analyse le contenu d’une nouvelle, que ce soit un journaliste, un patron de presse ou un membre du public. Néanmoins, le journalisme de qualité se distinguera, selon Bernier (2004), par l’adhésion aux principes et valeurs qui constituent les piliers normatifs du journalisme. À ce sujet, le guide de déontologie du Conseil de presse du Québec (CPQ) établit comme suit les qualités requises de l’information : l’exactitude, la rigueur de raisonnement, l’impartialité, l’équilibre et la complétude (CPQ, 2015).

Selon la perspective constructiviste, le fruit du travail journalistique est une construction sociale de la réalité résultant de « processus de fabrication complexes »; « il est à la fois le produit d’un regard porté sur la réalité et d’une mise en forme discursive particulière » (Delforce, 1996, p. 22). Différents facteurs influent directement sur la qualité du journalisme, que ce soit l’évolution des conditions de pratique, l’arrivée des nouveaux médias ou la transformation des attentes du public (Marcotte, 2008). Le temps disponible pour la production de contenu, l’espace de diffusion et les considérations budgétaires sont d’autres impératifs qui s’ajoutent aux codes classiques du journalisme auxquels les professionnels doivent généralement se soumettre (Sormany, 2011). En conséquence, l’instantanéité de l’information et la rapidité avec laquelle les journalistes doivent maintenant traiter la nouvelle, dans des environnements où le nombre de professionnels en poste est à la baisse et où les réseaux sociaux ajoutent de la pression, entraînent de nouvelles contraintes de couverture (Martel, 2018). Ces contraintes s’ajoutent aux exigences organisationnelles des médias (Gingras, 2009).

En raison de nombreux bouleversements, les conditions de pratique des journalistes sont déjà très précaires lorsque la pandémie survient. La crise financière engendrée par l’affaiblissement du modèle d’affaires des médias entraîne de nombreux défis à la production de l’information (Brin & St-Pierre, 2013; Dubois, 2016; Marcotte, 2008; Payette, 2010). Les 121 journalistes interrogés par Dubois (2016) s’entendent pour dire que la charge de travail grandissante et la vitesse de production requise pour alimenter les différentes plateformes des médias influent directement sur leur capacité à produire des reportages de qualité. Ces conditions de travail altèreraient, selon eux, « leur capacité d’approfondir leur recherche et de vérifier leurs sources, de peaufiner la forme et d’exploiter leur potentiel, nuisant à la qualité générale de l’information » (Dubois, 2016, p. 39). L’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) estime que la qualité de l’information diminue et que cela mine « à la fois la crédibilité des médias traditionnels et la confiance du public envers les journalistes qui y travaillent » (AJIQ, 2019, p. 4). La pandémie viendra exacerber les difficultés financières des médias d’information (Wechsler, 2020) et deviendra, pour les journalistes, « la crise dans la crise » (Lacroix & Carignan, 2020, p. R3).

2. Objectifs de la recherche

C’est dans ce contexte que nous nous sommes intéressées aux enjeux rencontrés par les professionnels de l’information appelés à couvrir la pandémie de COVID-19. Pour notre recherche, nous avons voulu déterminer de quelle manière cette crise sanitaire mondiale avait affecté les journalistes québécois dans la pratique de leur métier. Nous avons cherché à évaluer les impacts de cette éclipse médiatique sur les pratiques des professionnels de l’information, notamment sur leur charge de travail et sur la vitesse de production exigée. Nous voulions également documenter leur nouvelle réalité alors que plusieurs se sont tournés vers le télétravail et que d’autres ont continué de faire du journalisme de terrain malgré les risques pour leur santé. Enfin, nous cherchions à déterminer les principaux défis auxquels ils étaient confrontés en sachant que ceux-ci peuvent avoir des répercussions sur la qualité de l’information.

3. Méthodologie

Cette recherche qualitative a été menée dans le cadre d’une étude plus large menée à l’Université de Sherbrooke. Les résultats présentés dans cet article sont issus de l’analyse de neuf entretiens[3] semi-dirigés réalisés auprès de journalistes provenant de différents médias d’information québécois. Cette technique de recherche est reconnue pour permettre une meilleure compréhension d’un nouveau phénomène (Boutin, 2006; Savoie-Zajc, 2009); le caractère exploratoire de nos entrevues laissait également les journalistes identifier eux-mêmes les principaux défis et enjeux auxquels ils faisaient face. Ces entretiens, d’une durée moyenne d’une heure, nous ont éclairées sur les perceptions des professionnels de l’information quant aux impacts de la pandémie sur leur pratique. L’approche adoptée considère le journaliste comme partie prenante et représentant d’un réseau social et professionnel plus large, lui permettant de donner une perspective sur le journalisme et ses conditions de pratique (Alami et al., 2013). Pour faire partie de notre échantillon (voir Tableau 1), les participants[4] devaient répondre aux critères suivants : pratiquer le journalisme depuis au moins cinq ans; oeuvrer pour un média québécois; couvrir activement l’actualité liée à la pandémie de COVID-19. Au total, cinq femmes et quatre hommes ont été retenus. Quatre d’entre eux produisent des nouvelles pour un réseau de télévision et trois pour la presse écrite. Nous avons également parlé à un journaliste de la radio et à un journaliste scientifique qui oeuvre pour un média internet. Parmi nos répondants, quatre sont considérés comme des journalistes généralistes, les autres sont des journalistes spécialisés en santé (2), en politique (1), en affaires judiciaires (1) et en sciences (1). La majorité d’entre eux travaillent pour des médias d’envergure nationale (à l’échelle du Québec), un seul est journaliste pour un quotidien régional. Il est à noter qu’un tiers d’entre eux (n = 3) sont à l’emploi d’un média public, le même nombre représente un média privé, deux journalistes travaillent pour un organisme médiatique à but non lucratif et un dernier oeuvre pour une coopérative.

Tableau 1

Profils des participants à l’étude

Profils des participants à l’étude

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D’un point de vue contextuel, il faut également savoir que la majorité de nos entretiens ont eu lieu alors qu’un article publié dans le quotidien Montreal Gazette (Derfel, 2020) révélait que des dizaines de personnes âgées étaient décédées en moins d’un mois dans une résidence de soins pour aînés, établissant un décalage considérable avec le bilan officiel. Cet article a d’ailleurs forcé le premier ministre François Legault à se présenter en conférence de presse pour confirmer les faits, ouvrant la porte à une série d’enquêtes visant à faire la lumière sur les circonstances de ces éclosions. C’est ce jour même que nous avons commencé notre série d’entretiens. Dans le but d’obtenir les réactions des journalistes au moment où le Québec connaissait une hausse constante du nombre de cas de COVID-19 (INSPQ, 2020a), nos données ont été récoltées rapidement : huit entretiens ont donc eu lieu entre le 11 et le 19 avril 2020, soit quatre semaines après le début de la crise sanitaire de COVID-19 au Québec. Le dernier s’est tenu le 6 mai 2020, quelques jours après avoir appris qu’un journaliste qui avait contracté la COVID-19 dans le cadre de ses fonctions souhaitait participer à notre enquête. Il est important de noter que cet espace temporel a aussi été marqué par la découverte de nombreux décès liés à la COVID-19 dans diverses résidences pour personnes âgées de la province et par la mise en lumière de plusieurs problèmes sanitaires au sein de certains d’entre eux.

4. Procédure d’analyse des entretiens

Dans le but d’analyser les données recueillies au cours des entretiens semi-dirigés que nous avons conduits, nous avons eu recours à une technique d’analyse thématique puisqu’elle nous apparaissait la plus polyvalente pour notre type de recherche (Bonneville et al., 2007; Mucchielli, 2009). Ainsi, nous avons utilisé un guide d’entretien thématique pour déterminer à l’avance les idées principales que nous voulions aborder avec les participants, constamment guidées par notre problématique initiale. Ces thèmes nous ont permis d’explorer certains aspects de manière déductive, c’est-à-dire en ayant déterminé à l’avance les principaux sujets dont nous voulions traiter. Nous avons, par la suite, retranscrit le verbatim de chacun des entretiens pour procéder à un codage rigoureux, classant chacune des idées abordées par les participants. Nous avons donc analysé des portions et des groupes de phrases se rapportant à des thèmes précis. Puis, au fur et à mesure que nous effectuions notre codage à l’aide du progiciel N’Vivo, nous avons généré d’autres thèmes de manière inductive, selon les réponses obtenues.

5. Présentation des résultats

L’analyse du codage nous a permis d’identifier les thèmes les plus porteurs issus des entretiens. Pour cet article, nous avons choisi de présenter les résultats émanant principalement de la catégorie Pratiques journalistiques.

5.1 La pandémie de COVID-19 amplifie la pression sur les journalistes

Les journalistes qui ont participé à notre recherche sont tous d’avis que la couverture de la pandémie a bouleversé leur travail au quotidien. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à déclarer qu’il s’agit de la période la plus exigeante de leur carrière : « Exigeante et stimulante. Je pense que ce qu’on vit, c’est du jamais vu, travailler dans les conditions dans lesquelles on travaille! » (Journaliste 1). Nous avons aussi remarqué que certains journalistes étaient déstabilisés, voire désemparés face à la vitesse de production requise par la couverture de la pandémie. Selon les témoignages que nous avons recueillis, la pandémie a augmenté de façon considérable la rapidité de production exigée aux journalistes :

On est habitués à ce que ça aille vite, mais ça va à une vitesse vertigineuse […] je suis comme un peu en relation amour-haine avec la couverture de la pandémie, je te dirais. J’aime ça, puis en même temps, je suis tanné

Journaliste 9

Ce journaliste témoigne aussi du fait qu’il ressent un décalage important entre sa réalité de reporter sur le terrain et les attentes des chefs de pupitre ou des patrons, ce qui accentue la pression qu’il ressent :

Convaincre quelqu’un de te rapporter son témoignage à la caméra, ce n’est pas facile à faire. Ça prend du temps, de la confiance. On ne peut pas faire ça à la va-vite, mais avec tout ce qui se passe, notre vitesse n’a pas diminué. On a les mêmes commandes le matin, puis on a les mêmes attentes aussi

Journaliste 9

Même son de cloche du côté du journaliste 8 qui aurait souhaité que le média pour lequel il travaille soit moins exigeant en ce qui a trait à la quantité de reportages à produire quotidiennement :

C’est clair qu’il y a une fatigue mentale, il y a un stress et surtout, tout le stress de dire, tu sais, faut pas jouer les héros là-dedans. […] Ce que tu risques d’avoir, c’est des reporters qui vont être brûlés raide à la fin

Journaliste 8

Nos répondants sont unanimes : le rythme de production exigé par la crise atteint un niveau d’une rare intensité. Les professionnels de l’information étaient déjà préoccupés, avant la pandémie, par la rapidité de production qui était exigée depuis la révolution numérique. C’était, selon eux, le principal facteur responsable de la dégradation de la qualité de l’information (Dubois, 2016). Cette accentuation de la pression sur les journalistes a aussi été documentée en Belgique dans une enquête qui démontre que ces derniers ont ressenti de l’anxiété, de la fatigue et du stress pendant la couverture de la pandémie (Le Cam et al., 2020).

L’augmentation de la pression provient aussi de l’accroissement de la charge de travail qui est un autre enjeu auquel les professionnels de l’information sont confrontés. Elle se manifeste par une quantité importante de nouvelles à traiter et de conférences de presse à couvrir en raison des développements qui évoluent d’heure en heure au sujet de la COVID-19 et de leurs impacts dans les différentes sphères de la société. Le journaliste 2 explique que ses collègues et lui doivent multiplier les heures pour arriver à « faire [leur] travail et assurer la qualité de l’information ». De son côté, le journaliste 4 relate que toute son équipe se serre les coudes et travaille à la chaîne pour arriver à sortir le maximum d’informations : « On en faisait déjà beaucoup, mais là, il n’y a jamais de fin […] On traite une nouvelle, il y en a 10 autres qui s’ajoutent ». Les journalistes sont préoccupés par le peu de ressources humaines dont les médias d’information disposent devant l’avalanche d’informations à traiter. Les points de presse quotidiens du gouvernement du Québec apportent aussi leur lot de difficultés selon les journalistes souvent affectés à leur couverture.

Ce qui est particulièrement frappant, c’est que le point de presse du premier ministre contient cinq nouvelles qui, dans une journée normale, seraient des unes de bulletins d’information à chaque fois, mais là, tu en as cinq à traiter en même temps

Journaliste 5

En Europe, ce même phénomène a été observé : « Il y avait trop de choses à traiter et trop peu de journalistes spécialisés en capacité de gérer ce flux d’information » (Eutrope, 2020). Pour donner un ordre de grandeur, ce sont plus d’un million d’articles consacrés au nouveau coronavirus qui ont été publiés, en France seulement, dans les trois premiers mois de la crise, un nombre qui dépasse largement la couverture journalistique de l’élection d’Emmanuel Macron et du mouvement des Gilets jaunes (Focraud, 2020). Du côté du Québec, la base de données Eureka recense près de 4500 articles ayant traité du coronavirus pendant les trois premiers mois de la pandémie pour le Journal de Montréal et pour La Presse+ à eux seuls[5].

L’épidémie de fausses nouvelles largement documentée pendant cette pandémie (Donovan, 2020; Monnier, 2020) est une autre raison qui pousse les journalistes à produire davantage.

On se met à faire du contenu vraiment pour essayer de lutter contre la désinformation sur le coronavirus. […] Je te dirais qu’il y a une traction […] qui fait en sorte qu’on doit produire encore plus de contenu qu’on l’aurait fait normalement

Journaliste 6

Ces propos rejoignent ceux de plusieurs vérificateurs de faits qui ont affirmé être surchargés à un niveau inhabituel. À titre d’exemple, Jeff Yates, journaliste pour les Décrypteurs à Radio-Canada, estimait que la situation est « du jamais vu », soutenant que son équipe ne s’attaque qu’aux « nouvelles qui sont le plus partagées, celles qui sont le plus virales ou celles qui ont le plus grand risque de semer la panique » (Péloquin & Bilodeau, 2020). Sauvajol-Rialland (2013) explique d’ailleurs que le danger majeur lorsqu’un individu fait face à de l’infobésité[6] c’est la « non-qualité de l’information ».

Tout cela met inévitablement de la pression sur le principe de base du journalisme, celui de vérifier les informations avant de les rendre publiques, et sur le devoir des journalistes de produire de l’information complète et exacte (CPQ, 2015).

5.2 L’accès aux sources d’information encore plus difficile qu’avant la pandémie

En plus de la pression et de la charge de travail importante, les défis de l’accès aux sources, à la documentation et à l’information gouvernementales sont aussi, en temps normal, bien présents pour les journalistes québécois (Saint-Jean, 2002). Ceux-ci se retrouvent toutefois amplifiés par le contexte de pandémie.

Ce qui complexifie le travail des journalistes, selon les témoignages que nous avons obtenus, ce sont d’abord les directives de la santé publique qui interdisent formellement l’accès aux établissements de la santé. Les journalistes ne peuvent pas y entrer; les familles des patients n’y sont pas admises non plus. Ces dernières ne peuvent donc ni servir de sources directes, ni contribuer à vérifier ou corroborer certaines informations. Cela s’ajoute à l’omerta qui règne chez le personnel de la santé, selon nos répondants, et qui l’éloigne des médias d’information. Pour les journalistes que nous avons interrogés, la conséquence la plus lourde c’est de ne pas avoir été en mesure de voir, de décrire et de montrer la situation à l’intérieur des CHSLD[7] où se multipliaient les décès et les foyers de contamination de COVID-19 (INSPQ, 2020a). Alors qu’ils recevaient différents témoignages faisant état de constats alarmants quant au manque de personnel et d’équipement de protection ainsi qu’à l’incapacité de certains à assurer les soins de base aux aînés, les journalistes qui tentaient d’obtenir des autorisations pour y entrer se heurtaient continuellement à des refus pour des raisons de santé publique (Baillargeon, 2020).

Ce qui est hallucinant, c’est qu’on a de plus en plus de difficulté à faire notre travail alors qu’on sent qu’il y a un décalage entre ce que dit Québec et ce qu’on voit sur le terrain […] Donc ça prend absolument ces reportages-là pour mettre en lumière, pour que même les gouvernements eux-mêmes le voient

Journaliste 9

Ce journaliste nous a même rapporté qu’un représentant du gouvernement lui avait proposé de faire du bénévolat pendant quelques jours pour obtenir l’accès à un CHSLD afin de pouvoir rendre compte de la situation.

Quelqu’un au-delà de la pyramide, en haut, qui m’a appelé pour me dire « on sait que vous êtes journaliste, on comprend votre demande, ce que vous allez faire avec ça, mais faut juste que vous compreniez que vous devez aussi faire du bénévolat »

Journaliste 9

En plus des questions déontologiques que cette proposition soulève au plan journalistique, cette personne aurait eu à se placer en quarantaine après son reportage, ce qui aurait représenté une perte importante pour la direction du média d’information qui a refusé qu’il se soumette à cet exercice.

Le journaliste 5 estime aussi qu’il aurait été d’une grande pertinence, à ce moment de la crise, de pouvoir faire un état précis de situation. Cela aurait, à son avis, mis davantage de pression sur les autorités gouvernementales :

Je pense qu’on aurait dû le faire. Dans un monde idéal, on aurait aimé pouvoir le faire plus, pour illustrer ce dont on parle de façon théorique, selon les échos qu’on en a, mais qui restent des échos qu’on n’a pas été capable d’illustrer en images par exemple. Ça, j’aurais aimé qu’on puisse le faire, tout en étant très respectueux. Ça, c’est primordial

Journaliste 5

Obtenir ou vérifier des informations factuelles de la part des autorités des établissements de santé débordés par la gestion de la crise constitue un autre défi soulevé par nos répondants. « Veut veut pas, pour bien des gens dans les CIUSS[8] et dans les instances publiques, les médias passent un peu en dernier » (Journaliste 9). À ce propos, des journalistes décrivent qu’ils ont l’impression de se trouver dans un véritable labyrinthe lorsqu’ils tentent d’obtenir des informations de la part des intervenants du réseau de la santé. « C’est un combat quotidien », résume le journaliste 1 qui explique à quel point il lui a été difficile d’obtenir des informations sur le nombre de CHSLD qui connaissaient des foyers d’infection, puisque les données n’étaient pas centralisées au ministère de la Santé et des Services sociaux. « Au lieu d’avoir à appeler à un endroit, faut que tu appelles à 22 endroits si tu veux faire le tour du Québec » (Journaliste 1). En guise de comparaison, le journaliste 8 relate avoir facilement obtenu des données provenant de l’Ontario, la deuxième province canadienne la plus touchée lors de la première vague. Ces données relatives au lavage des mains chez le personnel de la santé ontarien étaient disponibles sur Internet, alors qu’il a dû procéder à 26 demandes d’accès à l’information pour tenter d’avoir l’équivalent au Québec, ce qu’il n’avait pas encore obtenu au moment de l’entretien.

En mai 2018, les journalistes, les directeurs de nombreux médias d’information et le CPQ avaient réclamé des changements en profondeur à la Loi sur l’accès à l’information, prétendant que l’esprit de la loi adoptée en 1982 n’était plus respecté (Saint-Arnaud, 2018). Lorsque la pandémie est survenue, le gouvernement du Québec a suspendu les délais prescrits par la Loi (Richer, 2020), laissant des dizaines de demandes d’information traîner en longueur, incluant celles portant sur la gestion de la pandémie. Richer (2020) estime à ce propos qu’il n’est « certainement pas incongru de présumer que quantité d’informations d’intérêt public sur la gestion de la crise demeurent cachées ». Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, reconnaît qu’il est possible, en période de pandémie, que certains gouvernements rencontrent des problèmes à assurer l’accès du public à l’information, mais que « les gouvernements devraient concevoir des méthodes d’accès à l’information qui leur permettent de poursuivre leurs programmes pendant la crise », étant donné que les mesures sanitaires risquent d’être en place pendant encore un certain temps (Kaye, 2020). L’UNESCO estime pour sa part que les gouvernements devraient y aller d’une divulgation proactive des informations « fiables et vitales », ce qui implique, de l’avis de l’organisation, « de publier des sources de données ouvertes, dans le respect de la vie privée des individus » (UNESCO, 2020b, p. 16).

Pour sa part, le journaliste 3 n’a pas l’impression que le gouvernement cherche à cacher de l’information aux journalistes et au public, mais montre du doigt la lenteur avec laquelle les autorités confirment certains faits : « Le gouvernement en place semble assez transparent, mais la transparence c’est une chose, la vitesse à laquelle le gouvernement transmet l’information, c’en est une autre » (Journaliste 3). Ce répondant estime que le reportage de Derfel (2020) aurait pu être publié plus rapidement si la confirmation des informations n’avait pas été aussi compliquée à obtenir. Cet article a eu de nombreux impacts, dont l’annonce de diverses enquêtes. Plusieurs de nos répondants ont affirmé que sa publication ainsi que celle des reportages qui en ont découlé dans les autres médias ont changé la dynamique entre les journalistes et les travailleurs du réseau de la santé. « Ç’a créé un effet d’entraînement », selon le journaliste 7, qui tentait depuis quelques semaines de parler à des préposés aux bénéficiaires. Il explique : « Personne ne me rappelait. Depuis lundi, je reçois des appels, elles se passent le mot. J’en ai eu 60 en une semaine » (Journaliste 7). Même constat pour le journaliste 5 : « Que ce soient des travailleurs du réseau de la santé, que ce soient des médecins, que ce soient de proches aidants ou des résidents de ces CHSLD, il y a un mouvement pour dénoncer la situation. » Ce journaliste, comme la majorité de nos répondants, estime que le travail des médias a permis de mettre en lumière les « graves problèmes » dans les CHSLD, le manque criant de personnel, les pénuries de médicaments, les problèmes avec des équipements, et de faire entendre les cris de détresse et d’alarme du personnel du réseau de la santé. Le journaliste 8 espère d’ailleurs que la crise de la COVID-19 changera la dynamique entre le personnel de la santé et les journalistes en faisant comprendre aux acteurs de la santé l’importance de « la transparence dans un réseau ».

5.3 Le journalisme en confinement

Les derniers enjeux soulevés par nos répondants que nous exposons dans cet article reposent sur le défi d’informer le public sans s’exposer au virus, et ce, tant pour les journalistes de terrain que pour ceux qui travaillent dans les salles de nouvelles et les salles de rédaction habituellement bondées de journalistes. S’il y a une éclosion au sein d’une équipe, non seulement un grand nombre d’employés pourraient tomber malades, mais cela pourrait mettre en péril la capacité d’un média d’information à poursuivre sa mission première.

Pour protéger les effectifs et faire en sorte de pouvoir continuer d’informer le public, les gestionnaires des médias ont rapidement mis en place d’importantes mesures, provoquant de profonds changements dans les pratiques professionnelles. Les salles de rédaction des journaux ont été complètement fermées, tandis que les studios de télévision et de radio sont demeurés partiellement ouverts, avec des effectifs réduits et des heures de production limitées.

La COVID-19 a donc imposé le télétravail à un grand nombre de journalistes, tous médias confondus. « Nous, on a fermé la salle de rédaction. Tout le monde est reparti avec ses ordinateurs et on est de la maison depuis ce temps-là » (Journaliste 1). Il va sans dire que le télétravail a engendré des modifications majeures dans les pratiques professionnelles des journalistes, particulièrement pour les reporters de terrain à qui on demande désormais de faire beaucoup plus de tâches à distance : « On fait énormément d’entrevues par Skype et par Facetime, ce qui avant état terriblement mal vu, alors que maintenant, c’est accepté et même prôné » (Journaliste 2). Ce changement dans les habitudes de production peut aussi avoir un impact sur la vérification des sources d’information : « Disons que notre réflexe premier, qui serait de pouvoir aller visualiser de nos yeux ce qui se passe, c’est pas mal, pas mal plus compliqué » (Journaliste 1). Cette vérification fait pourtant partie des critères propres à la rigueur de l’information, invoqués par le CPQ (2015).

Les journalistes de la presse écrite à qui nous avons parlé semblent mieux s’adapter au télétravail : « C’est un peu plus difficile d’avoir le même contact humain, mais on réussit quand même à bien s’en sortir, là », explique le journaliste 4. « Heureusement, on travaille quand même aussi bien en équipe, malgré la distance. Je n’ai jamais co-signé autant de textes de toute ma vie. […] On unit nos forces », raconte le journaliste 1 qui apprécie le fait de pouvoir continuer de travailler tout en étant à la maison avec ses enfants. Contrairement à une enquête menée auprès de journalistes belges qui révèle un sentiment de solitude et d’isolement lié au télétravail (Le Cam et al., 2020), nos répondants semblent plutôt avoir développé de nouvelles pratiques de collaboration. Seuls deux répondants ont parlé du fait que le manque d’interactions avec leurs collègues était difficile pour eux. Les journalistes 2 et 8 ont aussi relevé des difficultés à concilier les obligations familiales avec celles du travail.

Par choix personnel, le journaliste 7 continue d’aller sur le terrain pour rédiger ses articles, mais relate que plusieurs de ses collègues s’y refusent compte tenu des risques sanitaires : « Beaucoup de journalistes chez nous préfèrent rester chez eux parce qu’ils ont peur d’attraper la COVID-19, ils ont une femme, des enfants, ils ne veulent pas les contaminer » (Journaliste 7).

Pour les journalistes de la radio et de la télévision, il est souvent impossible de produire leurs reportages à distance :

Je ne peux pas juste rester chez moi et faire de chez moi des entrevues téléphoniques pour tout. […] Je suis un reporter terrain, terrain. Je suis quelqu’un qui, en général, raconte ce qu’il voit, je vais rencontrer les gens, je suis terrain, c’est un peu ma spécialité, mais maintenant on peut plus faire ça, sauf exception

Journaliste 3

Avant la pandémie, la crise des médias avait déjà sévèrement diminué le nombre de longues enquêtes et de reportages de terrain (Forum des politiques publiques, 2017). La pandémie semble avoir exacerbé cette situation. Meunier (2020) s’inquiète que « le journalisme de confinement » éloigne encore plus les professionnels de l’information du terrain, leur « véritable place », et affecte le droit du public à l’information. Certains journalistes que nous avons interrogés ont exprimé des craintes en ce sens.

5.4 L’accès au terrain potentiellement contaminé

Le risque de contracter le coronavirus est un défi inédit auquel les journalistes ont été confrontés lors de la première vague de la pandémie. Au Québec, il est rare que les journalistes soient confrontés à des risques aussi élevés en pratiquant leur métier. Les reportages extérieurs font désormais l’objet d’une rigoureuse analyse de risques au sein de la majorité des médias d’information. Un répondant qui a déjà couvert des conflits armés compare son travail pendant la pandémie à du journalisme de guerre :

Moi, je n’ai peur de rien. Je suis allé à la guerre en Afghanistan, je suis allé dans des ouragans en Floride, j’ai fait toutes sortes d’affaires. J’ai pris des risques dans ma vie. Là, c’est bizarre parce que tu sais, on dit l’ennemi invisible, mais c’est l’ennemi invisible pour les journalistes aussi

Journaliste 3

Alors que les journalistes suivent habituellement des formations avant de se rendre dans des zones de conflits (Bizimana, 2006), les journalistes de terrain ont dû s’adapter quotidiennement aux nouvelles connaissances scientifiques au sujet du SARS-CoV-2 afin d’adopter des pratiques journalistiques moins risquées. De nombreuses mesures sanitaires ont été mises en place pour leur sécurité, très souvent en collaboration avec les employeurs, mais pas systématiquement. Un répondant a témoigné que son employeur n’était pas suffisamment préparé ou conscient des risques auxquels il s’exposait en allant sur le terrain.

La Press Emblem Campaing (PEC), une organisation qui veille à la sécurité et à la protection des journalistes dans les zones de conflit et les missions dangereuses, rapportait, en date du 25 octobre 2020, que 431 journalistes répartis dans 51 pays avaient succombé à la COVID-19, ce qui rappelle durement les risques associés à la pratique du journalisme sur le terrain (PEC, 2020). Néanmoins, de nombreux répondants soulignent le fait que le journalisme de terrain demeure incontournable en temps de pandémie, même si le risque d’être contaminé en faisant son travail est réel (Hare, 2020). Le journaliste 9 en sait quelque chose, il a lui-même contracté le virus lors d’un tournage au début de la pandémie : « Il n’y avait pas de mesures de distanciation sociale encore en vigueur à ce moment-là. C’était vraiment un autre monde! » explique celui qui a repris le travail après 14 jours de quarantaine. Le journaliste 3 a aussi raconté avoir fait des reportages pendant lesquels il avait mis sa santé en jeu lorsque les mesures sanitaires n’étaient pas encore en vigueur.

Moi, j’allais dans les cliniques de dépistage, avec des gens qui toussaient dans le micro et je n’étais pas à deux mètres à ce moment-là. […] Je suis allé à l’hôpital de Verdun récemment, j’ai parlé à des employés de l’hôpital de Verdun, à des patients qui sortaient de l’hôpital de Verdun. […] Je me suis même fait dire par des employés : « Qu’est-ce que vous faites ici? C’est dangereux! » Je pense que ces gens-là avaient raison

Journaliste 3

Ce journaliste explique qu’il n’avait alors pas tout à fait mesuré les risques de contracter le virus et qu’il a commencé à mettre en place ses propres règles à partir de ce moment-là pour sa propre sécurité et pour ne pas devenir un vecteur de transmission. Il a donc décidé de sélectionner davantage ses entrevues en fonction de leur importance, de ne plus faire de micro-trottoir[9], d’apporter du désinfectant et de se fabriquer une perche avec un manche à balai pour pouvoir continuer de mener ses entrevues tout en s’éloignant physiquement.

J’ai géré ça moi-même. Je l’ai fait parce que j’ai 20 ans d’expérience. Mais je me mets à la place d’une personne qui a un an, deux ans, trois ans d’expérience. Cette personne-là prendrait peut-être des risques indus dans la situation, parce qu’il n’y a pas de règles précises qui ont été mises en place par une fédération comme par exemple les médecins spécialistes

Journaliste 3

Ces limites dans le journalisme de terrain amènent les professionnels de l’information à devoir faire davantage confiance aux versions officielles du gouvernement, ce qui est plutôt contre nature pour eux, dont le rôle consiste à relayer certaines informations cruciales émanant des autorités pour les rendre accessibles à tous, tout en questionnant les discours officiels (Gilbert, 1971). En ce sens, Broustau (2018) explique que « les médias et les journalistes sont à la fois polémistes et pédagogues » (p. 175), double rôle qui tend à s’effacer dans le contexte de la couverture de la COVID-19 où le gouvernement demande aux journalistes de se concentrer sur leurs fonctions de pédagogues. Par exemple, les points de presse quotidiens mis en place par le gouvernement du Québec pendant la pandémie sont vus par les journalistes comme nécessaires, mais aussi particulièrement contraignants en raison des conditions imposées aux journalistes qui pouvaient y assister et dont le nombre de questions était limité. Le journaliste 5 résume :

Le gouvernement n’a pas versé dans l’autoritarisme, mais il s’est donné des pouvoirs qui s’apparentaient à de l’autoritarisme et donc, en l’absence de partis d’opposition qui n’ont aucune lumière, aucune visibilité, aucun éclairage en ce moment, le rôle des médias est d’autant plus important.

Nos résultats tendent à rappeler cette importance, mais soulèvent aussi de nombreuses contraintes dans les conditions de pratiques qui peuvent affecter à court ou long terme la qualité de l’information livrée par les journalistes québécois.

Conclusion

Notre recherche avait pour objectif d’identifier les changements dans les pratiques journalistiques chez des professionnels de l’information au Québec dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19. Les témoignages obtenus permettent de constater que des défis déjà identifiés comme des menaces à la qualité de l’information se sont exacerbés, accentuant la pression subie par les journalistes. L’accélération de la vitesse de production de l’information, l’augmentation de la charge de travail et l’accès aux sources dans le réseau de la santé sont quelques-uns de ces enjeux qui ont été amplifiés par la crise sanitaire. À cela s’ajoute une nouvelle réalité pour les journalistes qui doivent choisir entre travailler en confinement ou sur un terrain potentiellement contaminé, où ils doivent mettre en place une série de mesures de protection en raison des risques de contracter le virus. De façon générale, nous pouvons affirmer que ces nombreuses contraintes ont entravé les pratiques professionnelles des journalistes et menacé le droit du public à l’information.

Questionnés à cet effet, nos répondants ont estimé que l’information produite pendant les premières semaines de la pandémie était de qualité, bien qu’ils aient été également déchirés, par moments, à trouver l’équilibre entre leur rôle de chien de garde du gouvernement et celui de messager des autorités (Lacroix & Carignan, 2020). Pourtant, Favereau (2005) affirme que « le travail du journaliste de santé devrait être de privilégier d’abord la clarté de sa fonction » (p. 25), car il ne « ne doit pas endosser le costume de l’agent de la santé publique » (p. 25). En voulant contribuer à la promotion et à l’adoption des mesures sanitaires prônées par la santé publique et en devant renoncer à certaines sources d’information momentanément inaccessibles, les journalistes ont pu glisser à leur insu vers cette fonction d’agent. Il serait nécessaire lors d’une recherche future d’aller vérifier ces prétentions et d’effectuer une analyse plus poussée du contenu produit par les médias québécois pendant la pandémie afin de vérifier si les modifications des pratiques relevées dans cette recherche ont des effets concrets sur le contenu produit.

Enfin, deux préoccupations majeures ressortent de nos entretiens. La première porte sur le droit à l’information qui risque d’être menacé si la pression continue de s’exercer de la sorte sur les journalistes. Dans un monde où la désinformation se fait de plus en plus présente et où une partie grandissante du public adhère aux théories du complot de toutes sortes, il nous semble crucial que de nouvelles mesures soient instaurées pour que le public ait accès à une information fiable et rigoureusement vérifiée. La deuxième préoccupation soulevée par nos entretiens porte sur le travail des journalistes qui devient de plus en plus difficile alors que les conditions de travail de ces derniers sont de plus en plus précaires (Le Cam et al., 2020). Il nous semble très probable que des professionnels de l’information épuisés décident de quitter le métier, malgré leur amour renouvelé pour leur profession (Lacroix & Carignan, 2020), estimant qu’ils n’ont plus les moyens de produire une information de qualité. Si tel était le cas, une réduction additionnelle du nombre de journalistes conduirait inévitablement à une autre pression sur le droit du public à l’information.