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Dossier thématique

Éditorial : COVID-19, migrations et parcours : ruptures et continuités

Editorial: COVID-19, Migration and Trajectories: Ruptures and Continuities
Editorial: COVID-19, migración y trayectorias: rupturas y continuidades
Florian Aumond, Véronique Petit et Nelly Robin
p. 7-36
Traduction(s) :
Editorial: COVID-19, Migration and Parkours: Ruptures and Continuities [en]

Texte intégral

1Les six articles proposés dans ce dossier répondent à l’appel intitulé « COVID-19, migrations et parcours. Des mobilités aux prismes de l’immobilité : paradoxes et réalités »1 lancé le 20 janvier 2021. Il a été élaboré autour de la notion de parcours définie comme « un processus se construisant au gré des espaces traversés, des ressources mobilisées et des choix personnels, impliquant une volonté et une intention particulières, selon les opportunités, les contraintes et les risques rencontrés. Elle considère également les interactions entre les multiples acteurs (migrant·e·s, États, groupes criminels, collectifs de solidarité). Au-delà de ces vécus liés à la “route”, le parcours migratoire considère aussi le temps de l’intégration/inclusion dans la société d’accueil et celui du retour »2. Florian Aumond, Véronique Petit et Nelly Robin avaient proposé aux chercheur·e·s d’interroger la valeur heuristique de cette notion, afin d’observer les dynamiques des migrations dans le contexte de la COVID-19, en privilégiant un double prisme : les incidences de la crise sanitaire et de sa gestion politique sur les parcours migratoires et ce que révèle la COVID-19 sur ces parcours dans un contexte paradoxal d’immobilités contraintes. Cet objectif a été atteint dans certaines limites en raison des conséquences de la pandémie de la COVID-19 sur la production de la recherche.

2Les chercheur·e·s ont dû gérer l’impossibilité d’accéder à des terrains et à des populations spécifiques durant la première phase de la pandémie en 2020 avant que les campagnes de vaccination en 2021 ne redessinent les possibilités de circuler sous certaines conditionalités, pour certains profils de voyageur·e·s et dans certaines régions. Les contraintes liées à l’accès aux terrains et aux conditions concrètes d’enquête ont obligé nombre de chercheur·e·s à redéfinir leurs approches, à s’investir dans de nouveaux dispositifs méthodologiques, à adopter des méthodes déjà existantes, ou à tenter des expérimentations afin de combler la distance instaurée par les mesures sanitaires entre eux·elles et les personnes migrantes dont ils·elles souhaitaient décrire les réactions, les vécus, les stratégies face à une situation compliquant encore davantage la condition de migrant·e·s. Néanmoins tou·te·s les chercheur·e·s n’ont pas été en mesure de reconfigurer leurs recherches ou n’ont pas souhaité le faire. Aussi certaines propositions d’articles initialement retenues pour figurer dans ce dossier ont été retirées au fil des étapes du travail d’édition par les auteur·e·s, car ils·elles n’ont pas pu rejoindre des terrains éloignés et travailler selon les méthodologies qu’ils·elles souhaitaient poursuivre. Néanmoins, malgré ces difficultés les articles proposés rendent compte de contextes pluriels. Sont analysées les conditions de personnes migrantes en France confrontées à la gestion de l’« immobilité » et des conséquences multiples (juridiques, familiales, sociales, économiques, psychiques, etc.) des restrictions apportées à la liberté de circulation. D’autres articles exposent le traitement politique et juridique réservé à différentes catégories de migrant·e·s (immigrant·e·s, réfugié·e·s, personnes issues de l’immigration) au Brésil, en Turquie, en Irak, ainsi que les mobilisations des diasporas et de leurs relations à leur État d’origine dans l’élaboration et la mise en œuvre de dispositifs visant au rapatriement/au retour des émigré·e·s en Égypte, au Sénégal et en Tunisie.

3Alors que la pandémie a été vécue et présentée comme une crise majeure, une rupture marquant un avant et un après aux échelles de l’histoire globale, des évolutions sociétales et des parcours de vie, « un nouveau monde » devant advenir, ce dossier souhaite tempérer cette analyse en termes de ruptures. Les articles proposés nuancent en effet cette lecture tant sur le fond que sur les méthodologies utilisées par les auteur·e·s. Si effectivement la COVID-19 constitue une temporalité particulière, « un moment pandémique », marqué par des discontinuités, des continuités amplifiées se révèlent sous un effet de loupe.

Contexte : le « moment pandémique »

4L’ensemble des articles traitent de « ce moment pandémique » défini par Tony Rublon dans son article « en tant qu’espace de temps situé dans la durée et identifié grâce à une chronologie particulière ». Cette chronologie évènementielle est déterminée de manière spécifique au niveau des contextes nationaux par le traitement politique de la crise sanitaire et des réactions qu’elle suscite dans les univers sociaux à travers les stratégies, les mobilisations, les représentations que les acteur·rice·s élaborent. Cette diachronie est également structurée en fonction de l’impact morbide de la pandémie à l’échelle régionale et globale, et des progrès réalisés dans la connaissance du coronavirus. Compte tenu de la variabilité des contextes épidémiques au niveau national et des spécificités des réponses politiques et sanitaires qu’ils ont entrainés, nous laissons la parole aux auteur·e·s afin de les présenter plus précisément au regard de leur problématique.

5Si ce moment pandémique peut être borné au fil des mesures politiques et sanitaires, des indicateurs épidémiologiques, de l’évolution de la réglementation des migrations et des mobilités, il révèle d’autres temporalités sociohistoriques et politiques plus profondes concernant la construction des États-nations, les dynamiques des appartenances identitaires, les flux et les politiques migratoires dans lesquels ce temps de crise s’inscrit. Cette phase marquée par « l’immobilisme », même s’il convient de nuancer ce propos, semble à la fois proche et déjà s’obscurcir dans nos mémoires saturées d’informations. Récente — car objectivement elle l’est au regard de l’histoire et du temps écoulé —, subjectivement cette première phase peut être déjà plus confuse au regard du vécu dense qu’a induit la succession d’évènements, de découvertes, de mesures, des chocs émotionnels qui constituent la trame existentielle de cette crise. Il importe donc de documenter les expériences liées à ce contexte inédit, d’autant que la crise sanitaire semble entrer en 2022 dans une nouvelle phase. Si la pandémie n’est pas achevée, elle semble prendre une nouvelle tournure grâce aux programmes de vaccination, au développement de l’immunité et d’une forme de chronicisation de la COVID-19. Cette évolution pousse de plus en plus de gouvernements à s’orienter vers des politiques de « réouverture » et de « libéralisation » des conditions de vie avec l’abandon des mesures sanitaires que les populations acceptent de plus en plus difficilement. Reste à savoir d’un point de vue migratoire comment ce monde d’après se mettra en place dans un contexte où l’on mesure encore mal l’ampleur des conséquences sociales de la pandémie (Leschi, 2022) et qu’une crise d’une autre nature (guerre en Europe de l’Est, Ukraine) vient elle aussi bouleverser l’ordre mondial. Ce retour à la « normale » est cependant à nuancer en fonction des contextes comme en témoigne la situation en Chine par exemple et les précautions prises par les pays devant sortir d’une politique « zéro-COVID ».

6La pandémie a généré une production massive de données et d’indicateurs afin de suivre son évolution quotidienne et d’orienter la prise de décision publique en matière sanitaire et politique. Des dispositifs ont été également créés afin de constituer des fonds documentaires ayant pour objectif de collecter, d’archiver et d’analyser les traces et mémoires de la pandémie3 et qui a sidéré au sens médical4 la planète et constitué une rupture anthropologique au sein de nos sociétés contemporaines. Alors que ce choc s’estompe, il importe désormais de revenir sur les processus de production de la recherche durant cette période et d’en analyser plus en détail les différents aspects (Lanssens, 2021). Les données accumulées au cours de la pandémie, en dépit des analyses réalisées dans l’urgence, demandent à être réinterrogées et retravaillées avec davantage de distance critique, avec une meilleure compréhension des biais de collecte et des modèles d’analyse complexifiés. Dans le domaine démographique, on peut citer les travaux récents qui mettent en évidence la sous-estimation de la mortalité due à la COVID-19 dans le cas de l’Inde (Guilmoto, 2022) et au niveau global (COVID-19 excess mortality collaborators, 2022).

Le contexte pandémique

7Début 2020, le monde plonge de manière brutale dans une phase de repli national et d’immobilisme avec la fermeture des frontières, l’arrêt des voyages aériens, l’instauration de mesures sanitaires contraignantes (couvre-feu, confinement, limitation de mobilités, réorganisation du travail et des études, mobilisation du monde de la santé et de la recherche). Gouvernements et populations voient leurs marges d’action et leurs modes de vie se plier aux courbes inquiétantes des indicateurs épidémiologiques d’une pathologie inconnue. Le 16 novembre 2019, la Chine recense un cas suspect, puis en décembre 2019 alerte l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à propos de plusieurs cas concernant ce qui est qualifié à l’époque de pneumonie sévère. Dès le début 2020, les cas se multiplient et se diffusent rapidement, des décès sont enregistrés, la propagation du virus reflète la géographie des échanges et des flux entre pays et continents, leur plus ou moins grande inclusion dans la globalisation. Progressivement plusieurs pays d’Asie sont touchés, puis les États-Unis avant l’Europe, la diffusion se poursuit en Amérique latine et aux Caraïbes, en Afrique fin février. L’OMS déclare l’urgence globale le 30 janvier et nomme le coronavirus le 11 février. La maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) est une maladie infectieuse due au virus SARS-Cov-2. L’OMS déclare le 11 mars 2020 la pandémie et rapidement désigne l’Europe comme l’épicentre de la pandémie.

Schéma 1 : Répartition du bilan humain de la pandémie entre avril 2020 et janvier 2021. Morts quotidiennes dues à la COVID-19 par grands ensembles. Moyenne glissante sur vingt-et-un jours

Schéma 1 : Répartition du bilan humain de la pandémie entre avril 2020 et janvier 2021. Morts quotidiennes dues à la COVID-19 par grands ensembles. Moyenne glissante sur vingt-et-un jours

Source : https://www.values-associates.fr/​blog/​datavisualisation-raconte-covid-19/​

8L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la France font alors partie des pays les plus touchés au monde. Si le classement de ces pays a évolué au cours de ces deux années de pandémie, ces pays européens ont toujours figuré dans le haut du classement et contribué à faire de l’Europe le continent le plus affecté par l’épidémie devant les Amériques. En mai-juin 2020, l’Amérique du Sud, et le Brésil en particulier qui devient le deuxième pays le plus touché au monde, devient le nouveau front de la pandémie alors même que son ampleur est sous-estimée. Le Brésil avec la Colombie, l’Argentine, le Mexique, le Pérou et le Chili sont les pays les plus atteints par la pandémie sur le continent sud-américain. Progressivement entre mai et août 2020, les États-Unis deviennent à leur tour un des épicentres de la pandémie à la suite de l’accroissement rapide du nombre de cas. Au Proche-Orient, au terme de deux ans de pandémie c’est la République islamique d’Iran qui est le pays le plus touché suivi par l’Irak, arrivent ensuite la Jordanie, le Liban, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. L’Égypte compte plus de 410 000 cas et plus 223 000 décès, environ un quart de sa population est vaccinée.

9En Asie, l’Inde compte plus de 39,5 millions de cas et presque 490 000 décès. Lors de la première vague, presque 1,3 milliard d’individus ont été confinés, cette décision prise rapidement avait entrainé des déplacements internes de millions de travailleur·euse·s migrant·e·s cherchant à regagner leurs villages. Début 2022, un peu moins de la moitié de la population est vaccinée. L’Indonésie arrive ensuite (4,2 millions de cas, environ 144 000 décès, et environ 44 % de personnes vaccinées), puis la Thaïlande (2,3 millions de cas, environ 22 000 décès, 68 % de personnes vaccinées) et le Bangladesh (1,6 million de cas, 28 200 décès, presque 35 % de personnes vaccinées). Les données ne sont pas disponibles pour la Chine qui applique la politique du « zéro-COVID » comme d’autres pays d’Asie (Singapour, Hong Kong, Taiwan) et d’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande). Cette politique visant à réduire le R à 0, implique un dépistage et un traçage des cas très contraignants, voire coercitifs, avec pour corollaires une liberté de circulation réduite, une fermeture des frontières extérieures, des confinements globaux ou localisés, une surveillance stricte des individus. Cette politique requiert « l’adhésion » de la population compte tenu des restrictions de liberté qu’elle implique notamment en termes de circulation, mais elle semble avoir des résultats au regard des chiffres — quand ils sont disponibles — obtenus par ces pays. Se posent pour ces États la sortie de cette politique du « zéro-COVID », une des solutions est de rétablir des liaisons avec des pays jugés « sûrs » en fonction de leur situation épidémiologique en créant ainsi des « bulles de voyages » ou à favoriser certaines catégories de voyageur·euse·s ou de migrant·e·s en fonction de la structuration de leur économie (étudiant·e·s, businessmen·women, travailleur·euse·s domestiques, touristes). Cette « dynamique du zéro-COVID » s’oppose à celle du « vivre avec » qui consiste à laisser le virus circuler au sein de la population de manière à accroitre l’immunité de la population, cette dernière stratégie si elle est moins couteuse économiquement et socialement a un impact morbide supérieur. Par ailleurs la sortie d’une stratégie « zéro-COVID » s’avère délicate.

10L’année 2020 est marquée par la première vague et seconde vague de la COVID-19, ainsi que par l’apparition des variants qui n’auront pas tous la même contagiosité et le même impact morbide. La temporalité des vagues est décalée selon les hémisphères et les saisons. Alors que les campagnes de vaccinations débutent fin 2020 et s’intensifient en 2021 à des rythmes très variables selon les stratégies et les ressources des États, la seconde année de la pandémie voit se succéder les troisième, quatrième, cinquième et bientôt sixième vagues. La possibilité d’être vacciné avec des vaccins reconnus par les pays de départ et d’arrivée ouvre la voie à de nouvelles conditions de mobilité (« passeport vaccinal ») qui sont ajustées au gré des contextes épidémiques et des politiques de fermeture, d’ouverture et de réouverture des États, et se superposent aux conditions juridiques préexistantes. L’accès à la vaccination et le choix du vaccin introduisent donc une nouvelle inégalité entre les individus disposant des ressources autorisant une libre circulation à ceux·celles dont la mobilité est limitée, sinon empêchée, par une série de contraintes administratives. Les campagnes de vaccination posent la question de l’inclusion des populations migrantes dans la gestion sanitaire de la crise et plus largement celle des inégalités sociales de santé qui sont révélées par la pandémie. Par ailleurs, la prise en charge des personnes contaminées met en lumière le rôle significatif des migrant·e·s et des personnes issues de l’immigration dans le fonctionnement des systèmes de santé et de protection sociale.

Le prisme syndémique : inégalités, vulnérabilités et quête de justice

  • 5 La composition du « Comité de scientifiques constitué au titre de l’état d’urgence sanitaire déclar (...)

11La COVID-19 est donc bien, par sa diffusion mondiale, une pandémie. Elle a au-delà pu être également qualifiée de « syndémie », terme introduit par des épidémiologistes et visant à souligner les interactions biologiques et sociales, entre pandémie, maladies chroniques et poids des inégalités sociales. L’analyse de ce que l’on peut considérer comme un « fait social total », au sens de Mauss (Delage et al., 2021 : 9), suppose ainsi nécessairement une mobilisation de l’ensemble des connaissances, par-delà les seuls savoirs médicaux. Cette appréhension nécessairement transdisciplinaire a hélas pu être quelque peu oubliée, que ce soit dans le champ médiatique ou dans le discours et la pratique politiques, les expert·e·s provenant d’autres sciences que médicales n’ayant été que peu invité·e·s à exposer leurs analyses et à participer aux processus de décision5. Pourtant, l’intelligence de cette « crise sanitaire », en réalité à la fois économique, politique et sociale, convoque nécessairement l’éclairage entre autres des sciences humaines et sociales, « indispensables pour mieux appréhender des situations similaires et donc sortir du sentiment quelque peu désespérant de l’impensable » (Lazar et al., 2020 : 12). Car ces sciences aident à surmonter le sentiment initial de sidération face à l’inédit en nous offrant des clés de lecture et de compréhension de l’évènement, par la remobilisation, mais aussi la réactualisation des outils, cadres théoriques, méthodes d’analyse élaborés dans d’autres contextes de crises.

12L’épidémie de la COVID-19 a rapidement glissé vers le statut de pandémie du fait de son ampleur morbide et de son expansion globale. Au regard des inégalités sociales et économiques qu’ont progressivement révélées les travaux de recherche, les spécialistes en santé ont mobilisé un autre cadre conceptuel — le prisme syndémique — afin d’interroger plus frontalement les inégalités sociales de santé. « Le Sars-Cov-2 dégrade préférentiellement la santé des personnes atteintes de maladies chroniques, lesquelles ne se distribuent pas au hasard dans l’espace social. Il amplifie les inégalités sociales de santé, elles-mêmes en partie corrélées aux inégalités socioéconomiques » (Pierru, 2021 : 333). Les différentiels de morbidité ont mis en lumière la participation de certaines catégories de migrant·e·s et de personnes issues de l’immigration à la lutte contre la pandémie (travailleur·euse·s de première ligne, personnel de santé par exemple) en révélant leurs positions sociales, leur invisibilité et les discriminations dont elles sont l’objet notamment dans le respect de leurs droits et dans l’accès à la santé. L’observation de ces écarts a poussé en septembre 2020 Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet, à plaider pour que la COVID-19 soit analysée en tant que syndémie :

« The most important consequence of seeing Covid-19 as a syndemic is to underline its social origins. The vulnerability of older citizens ; Black, Asian, and minority ethnic communities ; and the key workers who are commonly poorly paid with fewer welfare protections points to a truth so far barely acknowledged- namely, that no matter how effective a treatment or protective a vaccine, the pursuit of a purely biomedical solution to Covid-19 will fail. […]. Approaching Covid-19 as a syndemic will invite a larger vision, one encompassing education, employment, housing, food, and environment. Viewing Covid-19 only as a pandemic [through epidemiological models and with infectious disease specialists] excludes such a broader but necessary prospectus. » (Horton, 2020 : 854)

  • 6 Le concept « One Health » ou « une seule santé » en français, est mis en avant depuis le début des (...)

13Créé au début des années 1990 par l’anthropologue Merril Singer, le modèle de la syndémie prend son essor dans le champ de l’anthropologie médicale puis est rapidement repris dans d’autres disciplines. Outre qu’il s’intègre parfaitement à l’approche One Health6, il met également l’accent sur les inégalités sociales de santé et les questions de vulnérabilité :

« The syndemics model focuses on the biosocial complex, which consists of interacting, co-present, or sequential diseases and the social environmental factors that promote end enhance the negative effects of disease interaction. This emergent approach to health conception and clinical practice reconfigures conventional historical understanding of diseases as distinct entities in nature, separate from other diseases and independent of the social contexts in which they are found. Rather, all these factors tend to interact synergistically in various and consequential ways, having a substantial impact on the health of individuals and whole population. Specifically, a syndemics approach examines why certain diseases cluster (ie. Multiple diseases affecting individuals and groups) ; the pathways through which they interact biologically in individuals and within populations, and thereby multiply their overall disease burden, and the ways social environments, especially conditions of social inequality and injustice, contribute to disease clustering and interaction as well as to vulnerability» (Singer et al., 2017 : 941)

  • 7 Afin de resituer les travaux de ces auteurs et mieux cerner les relations entre santé et développem (...)

14Il faut rappeler que jusqu’au début des années 1990, le développement (question qui ne concerne pas uniquement le Global South) était conçu comme la condition nécessaire à l’amélioration des indicateurs de santé et à la réduction des écarts de mortalité et de morbidité. À la suite des travaux de Fogel et de Sachs7, la relation s’inverse et c’est désormais «  L’amélioration de l’état de santé des populations (qui) constitue un input décisif pour la réduction de la pauvreté, la croissance économique et le développement à long terme  » (Sachs, cité par Moatti et Ventelou, 2009). Ce changement de perspective est également à mettre en lien avec l’émergence d’une conception morale de la santé. Richard Horton (toujours lui) se réfère ainsi aux travaux du philosophe Norman Daniels :

« Daniels’ claim is that health is of special moral importance because protecting health-keeping people functioning normally by meeting their health needs- protects the opportunities open to us. By opportunities, Daniels means the array of life pans reasonable persons are likely to develop themselves. [] Daniels based his argument on John Rawl’s theory of justice. Rawl claimed there could be no justice without fair opportunities for all. » (Horton, 2022 : 223)

15Si les inégalités qui affectent les populations migrantes ne peuvent se réduire aux inégalités sociales de santé, celles-ci offrent un prisme saisissant des conditions faites aux migrant·e·s tout au long de leur vie et de leur parcours migratoire comme Petit et Wang (2019) l’ont montré à propos de la santé mentale.

16Les analyses par le prisme des inégalités sociales de santé, les trajectoires et la vulnérabilité requièrent des approches pluri-/inter-disciplinaires et des décloisonnements disciplinaires en raison d’une part de « la complexification des modèles de compréhension et des déterminants de la santé croisant données individuelles et collectives, facteurs biologiques, sociaux, économiques et culturels [qui] a mobilisé des alliances entre sciences médicales et sociales » (Fromageot et al., 2005 : 2). D’autre part, « il n’est plus permis de s’en tenir à quelques sous-systèmes relativement simples et évoluant de manière indépendante » (Morin, 1994) compte tenu de la globalité des réalités (Villeval et al., 2014). L’imbrication des questions sanitaires et migratoires s’inscrit dans cette complexification et cette globalisation des enjeux et des questionnements. Ces rapprochements disciplinaires, s’ils semblent de plus en plus naturels, s’inscrivent néanmoins dans l’histoire du rapprochement entre sciences sociales et humaines et le monde médical. La COVID-19, comme le sida dans les années 1980 et plus récemment les enjeux environnementaux et climatiques, réactualise « la nécessité de cette rencontre » et bouscule le modèle biomédical qui est alors « amené à s’ouvrir à d’autres approches disciplinaires dont les SHS » (Kivits et al., 2013).

Enquêter en temps de COVID-19 : innover dans la continuité ?

17Une large gamme de disciplines a été mobilisée dans un temps record afin d’élaborer vaccins et traitements médicaux, afin de comprendre la genèse et l’émergence de ce coronavirus, d’observer et d’analyser ses effets sur le fonctionnement social, politique et économique de nos sociétés, d’en comprendre les retentissements plus souterrains qui se révéleraient au fil d’une temporalité soudainement fracturée entre un monde « d’avant » et un monde « d’après » dont le sens et l’avènement restent flous.

18L’injonction forte à produire de la recherche couplée à la réactivité/curiosité des chercheur·e·s face à une forme de sidération durant les premiers temps de la pandémie et face aux statistiques morbides quotidiennes, à des images inédites, aux modélisations, conduisent nombre de chercheur·e·s en sciences sociales et humaines à abandonner leurs travaux — ou à les faire passer au second rang —, afin de développer des projets originaux relatifs à la COVID-19 ou à les articuler à des projets en cours qui sont alors adaptés/redéfinis. Il s’agit d’observer ce qui se déroule dans l’immédiateté et sans point réel de comparaison sous les yeux de la population mondiale médusée et de comprendre comment elle en est affectée dans ses différentes composantes, comment le virus transforme les existences individuelles et les dynamiques collectives. Comment appréhender et en quels termes penser ce qui semble constituer une rupture, une crise, un phénomène inédit ? Afin de produire des « éléments de compréhension », les chercheur·e·s en sciences humaines et sociales doivent adapter, voire créer, des dispositifs d’enquête à ce contexte marqué par un arrêt brutal des circulations, une réduction des déplacements, l’impossibilité d’accéder à des terrains et aux interactions in situ qui les caractérisent. Les acteur·rice·s, objets des observations, sont eux·elles-mêmes pris·es dans ce processus d’ajustement aux contraintes sanitaires qui les oblige à redéfinir les modalités de leurs échanges, de leur sociabilité et de leurs mobilisations, en particulier lorsque ces relations s’ancrent dans un contexte transnational ou diasporique. Ce processus devient lui-même un nouvel espace et un nouvel objet de recherche.

19À la lecture des articles présentés dans ce dossier, les chercheur·e·s semblent avoir bon gré mal gré su glisser d’une organisation méthodologique élaborée dans un contexte qu’ils·elles connaissent et maitrisent à une démarche élaborée en fonction des marges et des évolutions liées aux contraintes de la pandémie. Ils·elles témoignent des capacités attendues de la part de chercheur·e·s : souplesse, réactivité, opportunisme et créativité. Les recherches présentées dans ce dossier témoignent de ces processus d’innovation, d’expérimentation, d’ajustement à la matérialité de la recherche et aux questionnements qui émergent ou qui exigent de nouvelles formulations. Si le rapport à la production empirique semble bouleversé, est-ce pour autant un changement radical de méthodes ou est-ce davantage un usage systématisé de démarches déjà utilisées de manière privilégiée par certaines disciplines ou certain·e·s chercheur·e·s ? La COVID-19 n’a-t-elle pas simplement rappelé ou mis en lumière une fonction normale de l’activité de chercheur·e : s’adapter à son environnement et aux transformations de celui·celle-ci ? La pandémie a durci en quelque sorte le contexte de production des données et a conduit les chercheur·e·s à sortir de leur zone de confort et à s’émanciper de leurs habitudes disciplinaires et personnelles.

20L’impossibilité à se rendre sur son terrain, à réaliser des observations et des entretiens en face à face a été néanmoins ressentie comme la perte de pratiques profondément intériorisées et d’habitus disciplinaires qui considèrent le recueil de la parole des acteur·rice·s (en l’occurrence des migrant·e·s) comme un élément central de la compréhension des parcours migratoires. La conduite des entretiens en face à face est considérée comme favorable à l’expression des discours et des récits surtout lorsque ceux-ci interrogent la sphère de l’intime, les émotions liées à des évènements tragiques ou symboliques. Partager le contexte d’existence du·de la migrant·e permet également de contextualiser la production des discours, d’observer ses relations avec d’autres catégories d’acteur·rice·s et d’accéder à d’autres sources d’informations. Les restrictions sanitaires ont contraint nombre de chercheur·e·s à effectuer un virage « numérique ». Pour autant ce tournant ne constitue pas une rupture, puisque tou·te·s les chercheur·e·s notent que les enquêtes qu’ils·elles développent sont indissociables de la connaissance préalable et de la familiarité qu’ils·elles ont de terrains et de leurs vécus auprès de certains groupes. Cette expérience rend possible et facilite leur transition par une ethnographie virtuelle ou une enquête quantitative en ligne.

21Félicien de Heusch, Carole Wenger et Jean-Michel Lafleur dans le cadre du projet européen Migration and Transnational Social Protection in (Post) crisis Europe (MiTSoPro) développent une enquête comparative sur les politiques de rapatriement de dépouilles dans douze États et sur un travail ethnographique sur les mobilisations des réseaux associatifs des émigré·e·s sénégalais·es et tunisien·ne·s autour de ce « droit » avant et pendant la pandémie de la COVID-19. Leur stratégie de collecte a dû être repensée : à l’origine basée sur l’observation participante in situ et l’entretien semi-dirigé en face à face, elle a évolué vers une « netnographie » (Kozinets, 2019). Grâce à cette ethnographie virtuelle ou numérique, les auteur·e·s suivent en ligne et principalement sur les réseaux sociaux, le déroulement des campagnes associatives autour du « droit au rapatriement de dépouilles » et les réponses des États sénégalais et tunisiens. Se référant à Bluteau (2019), ils·elles actent le fait que compte tenu de la place qu’occupent aujourd’hui « les paysages numériques », il devient impossible d’effectuer un travail ethnographique sans les prendre en compte. Il s’agit dès lors de considérer que nous sommes entré·e·s dans une « ère post-numérique », dans laquelle le numérique n’est plus une entité distincte, mais qu’il est ancré dans le quotidien. Cette réalité oblige le·la chercheur·e à déployer une coprésence sur des terrains in situ et virtuels. Cependant, une fois que le temps du confinement est passé et que s’ouvre la possibilité de réaliser des entretiens en face à face, les auteur·e·s se saisissent de l’opportunité, ce mode d’interaction leur apparaissant comme plus propice à un travail, car il permet d’interroger avec plus d’efficacité/plus de sensibilité la place des émotions et des symboles, qu’un entretien conduit en distanciel.

  • 8 Ce projet réunit des chercheur·e·s issu·e·s de différentes disciplines (géographie, sociodémographi (...)

22Tony Rublon s’intéresse à la manière dont les différentes forces politiques en présence se sont emparées de la crise sanitaire pour asseoir leur pouvoir, redéfinir leur(s) politique(s) migratoire(s) et réorienter la gestion des personnes déplacées en s’appuyant sur les cas de la Turquie et de l’Irak, qui témoignent de la situation au Moyen-Orient, l’un des principaux carrefours migratoires au monde. Son objectif central est de montrer comment les divers·es acteur·rice·s politiques en place ont transformé ce « moment pandémique » en « moment politique », en étudiant les conséquences des différentes réponses politiques face à la crise sanitaire, sur les réfugié·e·s et les déplacé·e·s en Turquie et en Irak. Il s’agit d’examiner en quoi la crise sanitaire a permis, en imposant dans un premier temps d’importantes restrictions de libertés à la totalité de la société, d’accélérer ensuite le processus de réorientation des politiques migratoires turques et irakiennes, impactant immédiatement parcours et expériences migratoires (Vahabi, 2013). L’étude proposée par Tony Rublon s’inscrit dans un projet collectif, réalisé en partenariat avec l’UMR 196 CEPED (Centre Populations & développement) et l’UMR 7301 MIGRINTER, de veille médiatique mis en place en mars 2020 en ouvrant des fils sur le média social seenthis dans le but de collecter et rassembler des articles de presse couvrant la thématique des migrations pendant la pandémie, alors que les chercheur·e·s contraint·e·s à l’immobilité sont dans l’impossibilité de se rendre sur des terrains lointains8. La constitution de ce corpus permet de repérer l’émergence et l’évolution des problématiques pointées par cette veille médiatique, et dans le travail de Tony Rublon de rassembler différents types de documents qui illustrent l’impact de la pandémie sur les politiques migratoires et les migrant·e·s au Moyen-Orient. Le traitement du corpus ainsi constitué (près de 1 000 documents sur la période du 30 mars au 31 décembre 2020) lui permet de questionner les représentations véhiculées par les médias et les États, ainsi que l’impact sur les migrant·e·s, des politiques mises en place par les gouvernements afin de limiter la propagation du virus.

23Laura Odasso et Frédérique Fogel s’intéressent aux épreuves qui font obstacle à la réalisation du projet migratoire, notamment à celles qui relèvent « d’un décalage qui se répète [au fil du parcours] entre “la règle” et “la réalité” : la situation de la personne, du couple, de la famille ne correspond pas exactement aux critères […] qui définissent l’accès au visa et au séjour sur le motif juridique de la “vie privée et familiale” [VPF] » (Odasso et Fogel, dans ce dossier). Cet intérêt pour le parcours migratoire s’inscrit dans leur questionnement sur la place de la famille dans la construction de la « nation », l’évaluation des liens affectifs et de parenté concourant à l’établissement d’une discrimination entre « les bon·ne·s » immigré·e·s et leurs proches, des autres. Les auteures s’intéressent ici en particulier à la manière dont la crise sanitaire a affecté la vie des personnes en situation de migration, aux conséquences relevant des liens affectifs et personnels de ressortissant·e·s non européen·ne·s et de leurs proches, quand les mesures politico-administratives mises en œuvre pour contrer la COVID-19 ont touché leur accès au droit. Leurs travaux « révèlent des dynamiques bureaucratico-légales et des temporalités incertaines et fragmentées qui immobilisent les parcours administratifs, impactant fortement la vie personnelle et familiale de nos interlocuteurs et interlocutrices » (Odasso et Fogel, dans ce dossier). Laura Odasso et Frédérique Fogel décrivent à travers une ethnographie des situations exemplaires où les attaches affectives et familiales permettent, juridiquement parlant, une régularisation sur le territoire français ou le renouvellement d’un titre de séjour, le regroupement familial et la réunion des partenaires étrangers des Français, en instance de mariage ou pas.

24La crise sanitaire ne modifie pas leurs objectifs de recherche, mais elle constitue un « moment » dans une ethnographie en cours auprès de couples binationaux et de familles étrangères dans différentes régions de France. Aux personnes suivies depuis une dizaine d’années sont ajoutées de nouvelles identifiées via les groupes de soutien qui ont émergé pendant le confinement, période de fermeture de la plupart des accueils associatifs. Parallèlement au recueil des récits de leurs expériences, les chercheures établissent un état des lieux des mesures gouvernementales en 2020 et 2021 qui concernent ces personnes, elles suivent les textes réglementaires et les pratiques administratives annoncées par décret, mais aussi via les questions parlementaires et les tweets des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, et prêtent attention au contentieux administratif et aux requêtes auprès du Conseil d’État, ainsi qu’aux réactions suscitées par ces mesures institutionnelles. Afin de compléter ce corpus et de croiser les regards, ces chercheures observent — en ligne sur Internet et hors ligne — les mobilisations d’organisations et de mouvements des conjoint·e·s et familles séparées, et de couples binationaux en attente de réunion. Elles enquêtent dans des lieux institutionnels où est réglé le sort des étrangères et des étrangers. Elles mobilisent des éléments du débat médiatique et des statistiques officielles éclairant le point de vue des acteur·rice·s de la politique migratoire française. L’ampleur de leur dispositif de recherche montre que la crise sanitaire ne constitue qu’un « moment » dans la temporalité d’une recherche plus ancienne et qu’elle en souligne toute la pertinence.

25Dans une étude exploratoire qualitative conduite en mars-avril 2021, Svetlana Ruseishvili et Caio Fernandes s’attachent à analyser les effets de la crise sanitaire sur le régime migratoire du Brésil à travers la restriction de la mobilité. Si le régime frontalier et migratoire instauré durant cette période ne remet pas en cause la politique migratoire du pays, les chercheur·e·s observent néanmoins un durcissement des pratiques (hyper vigilance, criminalisation des migrant·e·s, expulsions) qui affecte les droits des migrant·e·s et leur quotidien. À travers des entretiens réalisés par téléphone auprès de migrant·e·s de différentes origines (Haïti, Argentine, Venezuela, Mexique, Brésil), avec des durées de présence au Brésil et des situations migratoires variables, les auteur·e·s les interrogent tout d’abord sur les impacts de l’épidémie sur leurs conditions de vie quotidienne et sur leurs réseaux sociaux. Ensuite sont abordées de manière plus spécifique, les questions relatives au processus de régularisation, à l’emploi, à leur situation économique, à leur accès à la santé et à d’autres droits. In fine, il s’agit de comprendre les changements qu’induisent le fait d’être un·e migrant·e international·e au Brésil dans leur existence quotidienne. Les migrant·e·s sont sélectionné·e·s à travers un réseau structuré autour de l’Université Fédérale de Sao Carlos (État de Sao Paulo) dans différentes régions plus ou moins proches de la frontière. Le régime migratoire est documenté dans sa phase prépandémique à partir des années 1990, puis un suivi des ordonnances, produites par le gouvernement brésilien afin de limiter les déplacements internationaux entre mars 2020 et octobre 2021, est réalisé.

26De leur côté Evelyne Barthou, Yann Bruna et Emma Lujan s’intéressent aux trajectoires migratoires et à l’expérience des étudiant·e·s internationaux·ales en France à travers le projet TRANSCOVID. Alors que les étudiant·e·s « restent des acteurs peu connus de la globalisation migratoire » (Barthou et al., dans ce dossier), la France accueille de plus en plus d’étudiant·e·s étranger·ère·s, en particulier en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient. La crise sanitaire a attiré l’attention sur cette catégorie de la population résidant en France en révélant leurs difficultés. Ces jeunes ont été fortement affecté·e·s par la crise sanitaire en raison de leur statut d’étudiant·e, de l’éloignement familial et de leurs conditions de logement. Les chercheur·e·s ont choisi d’interroger l’expérience de la crise sanitaire des étudiant·e·s internationaux·ales à travers la problématique de l’accès : accès à l’autre d’abord, qu’il soit en ligne (famille et ami·e·s dans le pays d’origine) ou hors ligne (ami·e·s et connaissances en France), mais accès aussi aux études qui restent le motif principal d’arrivée dans le pays d’accueil. Dans cette perspective, une attention particulière est portée au rôle de la « mobilité numérique » dans la gestion de l’immobilité et de son « caractère à la fois enfermant et libérateur des dispositifs numériques » (Barthou et al., dans ce dossier). La crise sanitaire est appréhendée « comme une opportunité de questionnement des étudiants internationaux sur leur parcours migratoire, entre bifurcations, renoncements et nouveaux horizons » (Gohard-Radenkovic, 2017). Les étudiant·e·s sont ainsi nombreux·ses à avoir été poussé·e·s à s’interroger sur leur projet et leur mobilité internationale notamment à l’aune des conditions du retour. L’équipe de chercheur·e·s initie une enquête sociologique quantitative. Entre juin et novembre 2020, 2 101 étudiant·e·s dont 131 étudiant·e·s internationaux·ales répondent à un questionnaire en ligne incluant des questions fermées et des questions ouvertes qui interroge l’expérience objective et subjective de la vie des étudiant·e·s durant la crise sanitaire. Les résultats mettent en lumière les spécificités du vécu des étudiant·e·s étranger·ère·s dans cette période, aussi des entretiens approfondis sont conduits entre mars et mai 2021 afin d’approfondir les expériences et vécus des étudiant·e·s. Une attention particulière est portée aux étudiant·e·s africain·e·s compte tenu de leur part dans la population des étudiant·e·s étranger·ère·s en France.

27La recherche développée par Sarah Boisson et Mayada Madbouly concerne également les étudiant·e·s. Les auteures se concentrent sur la situation des étudiant·e·s et jeunes professionnel·le·s égyptien·ne·s vivant en France au moment du déclenchement de l’épidémie. Elles s’interrogent sur la signification d’être « coincé·e·s à l’étranger » en examinant comment cette catégorie a vécu l’exposition à des injonctions sanitaires et administratives contradictoires entre la France et l’Égypte où il faut alors développer des stratégies d’adaptation et de négociation face aux contextes et autorités nationales, tout en se raccrochant aux liens transnationaux. Dans la perspective précédemment évoquée, Sarah Boisson et Mayada Madbouly rappellent que cette population jeune et engagée dans une migration conçue comme temporaire vit dans un univers transnational très connecté. Dans le prolongement des travaux sur la « double présence » (Diminescu, 2005) qu’elles mobilisent, elles se placent dans le sillage de Dufoix (2010) qui souhaite penser une « science de la double présence » en tant que ces migrations s’inscrivent désormais dans un « désencastrement de l’espace et du temps [qui] n’a cessé de progresser et [dans lequel] l’ubiquité n’est plus tout à fait impossible ». Si « aucun migrant, aucun individu, ne possède le don d’ubiquité physique » (Dufoix, 2010 : 28), les nouveaux moyens de communication et l’appui des États à leurs expatrié·e·s contribuent à réduire la distance vécue entre pays d’accueil et pays d’origine.

28Sarah Boisson et Mayada Madbouly s’inscrivent également dans une démarche d’ethnographie numérique. Elles réalisent entre avril et septembre 2020 des entretiens semi-directifs approfondis (sur les conditions de vie, le ressenti du confinement, l’évolution des pratiques en temps de crise et la trajectoire migratoire face à la question du rapatriement — impliquant un retour plus ou moins durable selon les cas, ou encore le refus de rentrer) en partant sur les « traces numériques » (El Chazli, 2020) de personnes de nationalité égyptienne dont la majorité se retrouve sur les deux principales plateformes d’échange et de sociabilité propres à cette population migrante en France : l’Adeef (Association des Étudiants Égyptiens en France) et Égyptiens Sans Frontières. Les pages Facebook de ces groupes constituent également des espaces d’échange propres à cette population étudiante ou ayant été étudiante. Les auteures précisent leur démarche inductive et comment l’ethnographie virtuelle a permis d’élargir le recrutement géographique des personnes enquêtées. Aux entretiens, s’ajoute une veille institutionnelle durant cette même période s’appuyant sur les communiqués officiels des autorités égyptiennes en France afin de mieux comprendre la gestion du rapatriement par l’État égyptien et son usage de la catégorie institutionnelle de « coincé·e·s à l’étranger ». Cet usage, pour le moins erratique, illustre les difficultés des catégorisations rencontrées dans le contexte de la COVID-19.

Les catégories politico-juridiques au prisme de la pandémie : changements et continuités

  • 9 Damon Julien (2021) Pauvreté globale : le choc du COVID-19, Politique étrangère, 1, pp. 11-22.
  • 10 Cet enrichissement a par exemple été documenté dans le rapport d’Oxfam France, Dans le monde d’aprè (...)

29La COVID-19 est un produit de la mondialisation. Elle en a mis à nu les principaux déterminants, mais aussi accusé les principales failles : principalement charriée par les classes supérieures les plus mobiles, elle a surtout impacté les populations les plus défavorisées (Charmes et Rousseau, 2020 : 19). Les différentes études jusqu’alors réalisées en sciences sociales convergent pour souligner que la crise sanitaire a été un « révélateur saisissant de l’étendue des inégalités globales » (Alviar et al., 2020 : 175 ; Gaille et Terral, 2020). Dressé pour l’essentiel au début de la crise, ce constat s’est trouvé conforté par les dernières analyses : d’un côté, la pauvreté et l’extrême pauvreté dans le monde se sont fortement accrues9 ; de l’autre, les plus grandes fortunes ont largement profité de la période de pandémie pour s’enrichir davantage10. Parmi les populations les plus affectées par le creusement des inégalités, révélé sinon approfondi par la pandémie, figurent les personnes en situation de migration. Certaines, parmi les plus vulnérables, auraient au-delà été engagées dans un processus de « désaffiliation », au sens de Castel (1991), caractérisé par une « non-existence sociale » provoquée par l’absence de travail et l’isolement de la société « d’accueil » (Carillon et al., 2020).

30Les articles de ce dossier n’infirment aucunement ces constats, au contraire, ils les confirment pour l’essentiel. Ils y apportent cependant quelques nuances, notamment, en invitant à interroger les catégories usuellement mobilisées pour décrire les populations situées de part et d’autre de la frontière des inégalités. Ce que soutient d’ailleurs, dans une certaine mesure, l’approche dynamique par le parcours.

Un effacement relatif et provisoire des différences de situation parmi les étranger·ère·s au titre de la liberté de circulation

31La COVID-19 a plongé le monde dans une (relative) immobilité. La liberté de circulation s’est trouvée largement compromise, tant au sein des États qu’entre eux (cf. supra). Ces entraves à la liberté de circulation n’ont en réalité fait que reproduire, le cas échéant en les renforçant, des dispositifs auxquels se trouvent habituellement confrontés les « voyageurs sans droit de voyager » (Aubin, 2014 : 24), c’est-à-dire celles et ceux qui affrontent régulièrement les politiques de fermeture des frontières prévalant à leur égard en « situation normale ». Elles ont, en revanche, surpris sinon décontenancé celles et ceux pour qui les postes-frontières et douaniers ne constituent, en principe, que des temps de suspension dans une mobilité par ailleurs fluide et linéaire, pour qui le « monde lui-même, avec toutes ses frontières, son relief, ses détritus, ses odeurs, compose plutôt le décor flouté de leur libre et cotonneux voyage » (Agier, 2014 : 14). Avec la COVID-19, ils et elles ont alors fait l’expérience de la frontière, en tant qu’obstacle parfois insurmontable dans l’engagement ou la poursuite d’un déplacement. Cette immobilité contrainte, indifférenciée, suscitant l’émergence d’une condition unifiée de migrant·e car gommant les différences habituelles fondées sur l’origine nationale, constitue à bien des égards une originalité de la situation engendrée par la COVID-19.

32Cette situation a, ici encore, prospéré sur un terrain fécond : la pandémie n’a pas généré, mais bien plutôt exacerbé le phénomène du « retour des frontières », au sens politico-juridique de lignes de séparation des souverainetés étatiques. Apportant une « réponse territorialisée » face à une menace elle-même a-territoriale, elle a en cela repris et amplifié un processus enclenché avec la chute du mur de Berlin puis nourri par les réactions aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’amplification des mouvements migratoires après 2015 (Amilhat Szary, 2020 : 142). Ce renforcement d’un mouvement déjà engagé s’est notamment observé dans les espaces de libre circulation. Sur le continent européen, la réactivation de contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen (Martucci, 2020) n’a fait que prolonger une pratique déjà observée dans le cadre de ladite « lutte contre le terrorisme ». Sur le continent africain, plus précisément au sein de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la pandémie semble avoir été opportunément utilisée afin de justifier un renforcement des mesures restrictives déjà adoptées, notamment sous l’impulsion de l’Union européenne (Hamadou, 2020 : 340). Dans ces espaces, ces mesures ont alors contribué à un rapprochement dans l’exercice de leur liberté de circulation régionale, plutôt dans les entraves à son exercice, entre celles et ceux ayant la nationalité des États relevant de ces ensembles, d’un côté, celles et ceux ayant la nationalité d’un État tiers, de l’autre. En d’autres termes et pour considérer le cas européen, le « privilège » des citoyen·ne·s des États membres de l’Union européenne — et parties à la Convention Schengen — s’est érodé et ils et elles ont, pour l’essentiel, partagé la condition habituelle des ressortissant·e·s d’États tiers. On retrouve, ici, l’idée d’un alignement dans la condition de migrant·e, en d’autres termes, celle d’une relativisation des catégorisations habituelles.

33Dans les espaces régionaux de liberté de circulation, cette situation a alors témoigné de la réactivation suscitée par la pandémie d’une logique bilatérale dans la gestion des migrations internationales, au détriment d’une approche multilatérale (Achiume et al., 2020 : 112) : les ouvertures et réouvertures des frontières se sont souvent faites de manière sélective, en fonction de la situation notamment sanitaire des États d’origine des postulant·e·s à la migration. Dans ce contexte, la répartition classique entre les nationalités « privilégiées » et les autres en ce qui concerne l’autorisation d’entrer sur le territoire d’États tiers a parfois été bouleversée. Les Britanniques ont ainsi pu être inscrit·e·s sur la liste des « proscrits » par plusieurs États, à l’instar du Brésil comme le rappelle l’article de ce dossier rédigé par Svetlana Ruseischvili et Caio Fernandes. Les Français·e·s, également, ont été au nombre des nationalités interdites d’entrée dans certains États. Ils et elles ont alors expérimenté une situation parfois perçue comme insupportable, sans voir qu’elle constitue le sort habituel réservé à l’essentiel des ressortissant·e·s provenant du Sud global. L’indifférenciation dans la condition de migrant·e serait ainsi à nuancer ; mais, en ayant davantage contrarié les personnes profitant des zones les plus affectées par le virus et non plus nécessairement les ressortissant·e·s d’États du Sud global, la répartition entre « privilégié·e·s » et « lésé·e·s » n’aurait pas durant la COVID-19 exactement épousé les lignes du clivage habituel.

  • 11 La « saga » Novac Djokovic, tennisman serbe dont le visa a été annulé par le gouvernement australie (...)

34La remise en cause de cette distinction classique doit cependant être fortement nuancée. Comme toute crise, celle suscitée par la COVID-19 aurait pu engendrer des évolutions positives. D’aucun·e·s ont ainsi exprimé l’espoir que les restrictions à leur liberté de circulation internationale auxquelles ont été confronté·e·s les « privilégié·e·s » auraient favorisé un sursaut de conscience sur le sort des migrant·e·s pour qui ces mêmes restrictions constituent le quotidien. À supposer qu’elle ait effectivement eu lieu, on doit cependant admettre que l’on peine à observer les traductions concrètes d’une telle « révélation ». Quand bien même, les éventuels changements induits n’auront été que très provisoires. Dès la levée des mesures restrictives, le fossé entre la situation de celles et ceux pour qui les frontières n’entravent en principe pas, ou si peu, la mobilité et le sort de celles et ceux dont elles contraignent fortement les déplacements est clairement réapparu. Il pourrait d’ailleurs s’accentuer dès lors que l’argument sécuritaire brandi pour contraindre le mouvement des seconds, principal levier des politiques actuelles de « contrôle des flux migratoires », intègre désormais une dimension sanitaire, dimension qui pour n’être pas absente jusqu’alors voit désormais son importance accrue. Le rehaussement des exigences en la matière et le développement de « passeports sanitaires » risque ainsi d’accentuer les difficultés rencontrées par celles et ceux qui ne seront pas en mesure de supporter les nouveaux frais induits et/ou qui proviendront d’États n’étant pas en volonté ou en capacité de les leur fournir11.

35La COVID-19 a également interrogé la portée d’une autre distinction encore plus profonde dans le domaine de la gestion politico-juridique des migrations : celle séparant les nationaux·les des étranger·ère·s.

Un alignement partiel de la situation des étranger·ère·s et des nationaux·les en ce qui concerne le retour

  • 12 Cette seconde dimension n’a aucunement occulté la première. L’effondrement des envois de fonds de l (...)

36La pandémie a, on l’a vu, conforté la prégnance de l’État dans sa fonction, régalienne, de gestion des frontières. Elle a cependant dévoilé une facette habituellement peu sensible dans l’exercice de ce pouvoir. Cette mise en évidence s’est adossée au rééquilibrage dans l’« équation migratoire » observé pendant la pandémie, dans le sens d’une réévaluation de la place et du rôle de l’État d’origine (Mégret, 2020) : ce mouvement inviterait alors à reconsidérer les rapports entre l’émigré·e et cet État d’origine. Précisément, la pandémie engage à prolonger les analyses développées notamment dans le cadre des diaspora policies, notamment en ce qu’à l’approche statique que celles-ci privilégient dans l’ensemble, saisissant les rapports entre l’État d’origine et les membres de sa communauté diasporique installés dans les différents États d’accueil, la COVID-19 a contribué à mettre l’accent sur les relations dynamiques, autour de la question du retour des émigré·e·s12. Cette question s’est ici articulée autour d’une double interrogation : l’État doit-il organiser un rapatriement de ses ressortissant·e·s résidant à l’étranger — auquel cas selon quelles modalités et sous quelles conditions ? L’État peut-il s’opposer au retour de ses ressortissant·e·s ? Et ce double questionnement s’est en l’occurrence posé à la fois pour les vivant·e·s et pour les mort·e·s.

  • 13 Des éléments de réponse ont été apportés par le Comité des droits de l’enfant, constatant la violat (...)
  • 14 http://www.senat.fr/rap/r19-526/r19-5261.pdf
  • 15 Le « droit fondamental qu’a tout Français de rejoindre le territoire national », auquel il ne peut (...)

37L’enjeu du retour revêt une dimension juridique. La pandémie a de ce point de vue fourni l’occasion de penser une dimension de la mobilité relativement peu étudiée, car assez peu controversée (Mégret, 2020 : 323). Concernant l’organisation du rapatriement tout d’abord, il reste difficile à identifier une obligation positive de l’État, indexée sur l’obligation de fournir une protection et une assistance consulaires13. La pratique, d’ailleurs, a été très diverse pendant la COVID-19. Certains États ont mobilisé avec une certaine célérité des dispositifs conséquents afin de proposer un retour pour l’ensemble de leurs ressortissant·e·s à l’étranger. Tel est, par exemple, le cas de la France14. Les réponses apportées par d’autres ont été plus différées et leur réalisation plus laborieuse. Les conditions posées par certains ont parfois pu compliquer la situation des prétendant·e·s aux mécanismes institués. Il en va ainsi de l’Égypte, en raison du resserrement progressif des conditions à remplir pour prétendre au dispositif d’aide au retour organisé par l’État au profit des seul·e·s coincé·e·s, comme nous l’exposent dans leur article Sarah Boisson et Mayada Madbouly. Ces difficultés ont multiplié les cas de stranded migrants, catégorie que la pandémie a, de nouveau, contribué à visibiliser (Chamie, 2020 : 236). Leur nombre a d’ailleurs été d’autant plus important que, bien plus que rechignant à organiser le retour de leurs émigré·e·s, des États (Inde, Maroc, par exemple) ont tout simplement refusé de les accueillir, y compris lorsqu’ils et elles se présentaient à leur frontière. Ces décisions ont eu pour conséquence un alignement, ici, de la condition des émigré·e·s sur celle des étranger·ère·s, venant ainsi contester la distinction entre nationaux·les et étranger·ère·s. Ce rapprochement s’est cependant effectué en contradiction avec le droit international, lequel consacre, sur ce point de manière univoque, l’obligation négative des États de ne pas s’opposer, sauf situation exceptionnelle, au retour de toute personne « dans son pays » (Jouzier, 2020 ; Martha et Bailey, 2020)15.

38L’enjeu du retour, dans le cadre de la pandémie, a également permis de repenser les soubassements du rapport entre l’État et ses émigré·e·s. Cette séquence a en effet constitué « un moment de remise en cause du consensus entre États et diasporas, de rupture du “système d’échange symbolique” […] garant de l’ordre social [; de ce fait, elle a offert] une opportunité [pour] observer les valeurs qui régissent les relations entre la diaspora et leur société d’origine » (de Heusch et al., dans ce dossier). L’analyse comparative des cas sénégalais et tunisien, proposée dans ce dossier par Félicien de Heusch, Carole Wenger et Jean-Michel Lafleur concernant le retour des corps, est ici particulièrement éclairante. Les réactions suscitées face aux obstacles opposés par les deux États ont ainsi permis de constater la différence entre les représentations partagées par leurs diasporas respectives en ce qui concerne le rôle que l’État doit remplir à leur égard : d’un côté (Tunisie), un État interventionniste assurant une protection en échange de la loyauté et de l’envoi de fonds de ses ressortissant·e·s résidant à l’étranger ; de l’autre (Sénégal), un État abstentionniste pratiquant une politique du « laissez-faire » supposant qu’il n’intervienne qu’à titre exceptionnel et au profit des plus précaires. Dans les deux cas, cependant, les politiques adoptées ont largement entravé le retour des « corps COVID ». De telles décisions, dont la conformité au regard du droit international reste à discuter, participent alors du rapprochement entre le sort des émigré·e·s et celui habituellement réservé aux étranger·ère·s en ce qui concerne l’entrée sur le territoire de l’État d’origine. Elles s’inscrivent donc dans une réévaluation des distinctions classiques entre les catégories en ce qui concerne l’entrée sur le territoire d’un État. L’intérêt d’une telle reconsidération est en revanche beaucoup moins sensible si l’on considère le séjour.

La persistance du « privilège du national » dans l’accès et l’exercice des droits

39L’accroissement des difficultés rencontrées par les exilé·e·s au cours de leur séjour dans l’État d’accueil, dans le contexte de la crise suscitée par la COVID-19, a été amplement documenté. Contrairement à la question de l’entrée, elles confortent dans l’ensemble l’importance de la nationalité dans le bénéfice et l’exercice des droits. Certes, l’intensité de la ligne de fracture a pu ici aussi parfois sembler atténuée. Par exemple, l’on a pu observer une certaine méfiance à l’encontre des ressortissant·e·s revenant dans leur État d’origine (vivant·e ou mort·e), pouvant au reste s’exprimer avec virulence voire violence. Certain·e·s émigré·e·s ont ainsi partagé avec les immigré·e·s des expériences de stigmatisation semblant dessiner une distinction fondée ici, non plus sur la nationalité, mais sur le lieu de résidence au moment de la pandémie. Cette répartition entre, d’un côté, celles et ceux présent·e·s sur le territoire de l’État concerné, de l’autre, celles et ceux alors établi·e·s hors de ses frontières aurait réactivé « l’association historique entre migration et circulation de maladies » (de Heusch et al., dans ce dossier). Avec l’originalité cependant que les corps suspects seraient ici indifféremment ceux de quiconque entrerait dans l’État, sans égard pour sa nationalité : l’extra-territorialité serait le critère déterminant, à la place de l’extranéité. Ce rapprochement n’a cependant pas opéré un total effacement. Le rejet essuyé par certain·e·s émigré·e·s n’a eu ni la même diffusion ni la même intensité que celui ayant eu pour cible certaines catégories d’étranger·ère·s, notamment ceux et celles identifié·e·s comme ayant des origines asiatiques (Attané et al., 2021 ; Wang et Madrisotti, 2022). La pandémie a en effet donné lieu à l’expression d’un « hygiéno-nationalisme » caractérisé par le fait « de désigner les métèques, les étrangers, les immigrés et les minorités culturelles comme les principaux responsables de la propagation du virus dans le corps national » (Geisser, 2020 : 18). Un tel discours a notamment prospéré en Turquie, comme le rappelle Tony Rublon dans ce dossier. Il a pu être relayé par des autorités nationales qui, en s’appuyant sur cette logique du bouc émissaire, ont alors tenté de se déresponsabiliser face à la paupérisation des ressortissant·e·s les plus précaires.

40La condition singulère des exilé·e·s tient à la multiplicité des obstacles qu’ils et elles ont pu avoir à affronter et la variété des domaines concernés. Dans le domaine sanitaire, en premier lieu, de nombreuses études ont souligné les multiples entraves ayant contrarié leur accès aux soins voire, en amont, à l’information relative à la pandémie elle-même. En réalité la crise a sur ce point, en cela conforme à toutes les crises, révélé les failles de nombreux systèmes de santé et exacerbé des inégalités déjà latentes. Elles ont ainsi été moins prégnantes dans les États proposant un véritable service public, reposant par conséquent sur les principes d’universalité et de gratuité que dans ceux ayant opté pour une libéralisation et une privation de l’offre de soins. Tandis que le Brésil peut offrir un exemple de la première situation, comme le constatent dans ce dossier Svetlana Ruseishvili et Caio Fernandes, les États-Unis peuvent illustrer la seconde (Hill et al., 2021).

41Cette répartition a également été perceptible au niveau de l’éducation même si, de manière générale, les jeunes migrant·e·s ont été au premier rang des populations ayant profondément — et pour beaucoup durablement — pâti des mesures de fermeture de classes comme des dispositifs alternatifs mis en place. Plusieurs facteurs ont alors contribué à renforcer les difficultés, qu’il s’agisse du lieu de résidence des apprenant·e·s (camps de déplacé·e·s, par exemple) ou de la configuration de leurs logements (par exemple, logements exigus). La COVID-19 a également révélé la condition particulière des étudiant·e·s étranger·ère·s et dévoilé les nombreuses entraves à l’exercice, dans des conditions d’égalité effective, du droit à l’éducation dans l’enseignement supérieur. Cela ressort clairement des études de Sarah Boisson et Mayada Madbouly, d’un côté, d’Evelyne Barthou, Yann Bruna et Emma Lujan, de l’autre, réunies dans le dossier. Au niveau de l’enseignement supérieur, comme pour les autres (primaire, secondaire), la pandémie a par ailleurs mis un frein à une dynamique enclenchée au niveau international en faveur de la scolarisation des réfugié·e·s.

  • 16 Carrère Violaine (2020) Régulariser les sans-papiers… dans le monde d’après, Plein droit, 4 (127), (...)

42La crise sanitaire généralisée depuis l’automne 2020 a en réalité affecté de nombreux droits, à l’exemple de celui de mener une vie familiale normale. L’article du dossier rédigé par Laura Odasso et Frédérique Fogel, en ce qui concerne la France, est ici éloquent. Le traitement de la COVID-19 a au-delà dégradé les conditions générales de vie des personnes en situation de migration, en compromettant notamment l’accès aux dispositifs d’aide d’urgence et aux filets de sécurité sociale. Ces effets se sont faits ressentir avec une intensité accrue pour certaines catégories parmi elles, dont les femmes. L’enquête EpiCov l’a par exemple clairement documenté, en soulignant combien les inégalités de genre, de classe et d’origine s’agrégeaient, de sorte que les femmes immigrées d’origine non européenne, ouvrières non qualifiées, étaient les plus fortement impactées par les conséquences de la pandémie (Bajos et al., 2020 : 11). À cet égard, la prise de conscience du rôle indispensable des « premiers de corvée », bien souvent des « premières de corvée », parfois sans titre de séjour, n’a pas débouché sur des mesures significatives. Elle a certes, par exemple, permis de remettre sur le devant de la scène médiatique la situation des personnes en situation irrégulière et de multiplier les appels en faveur de leur régularisation ; lesquels ont, certes, été entendus dans certains États, notamment au Portugal. Mais l’« exemple » de Lisbonne, dont il convient d’ailleurs certainement d’interroger les véritables motivations16, n’a que très peu essaimé.

  • 17 Tel est le cas pour le « téléservice » dans le cadre des demandes de titres de séjour. Le Conseil d (...)

43À l’inverse ce sont multipliés, pendant la crise, les obstacles compromettant la réalisation des démarches administratives liées au statut migratoire des étranger·ère·s (visas, demande ou renouvellement de titres de séjour, demande d’asile, etc.). Dans leur étude, accueillie au sein du dossier, Laura Odasso et Frédérique Fogel soulignent notamment combien la diffusion de la digitalisation des procédures, loin de les fluidifier et de les faciliter, en a au contraire rendu beaucoup plus difficile l’exercice. Le passage de la « file d’attente en présentiel » à « une file d’attente numérique » ne s’est pas réalisé en faveur des usager·ère·s étranger·ère·s, du moins de l’essentiel d’entre eux et elles. La distinction fondée sur la nationalité, en ce qui concerne le droit au séjour, a dans ce contexte maintenu sa prévalence pendant la COVID-19 ; il n’y a pas eu d’alignement ici entre étranger·ère·s et nationaux·les. La crise sanitaire a au contraire été un révélateur d’une situation déjà présente. Et, à l’observation des politiques développées lors des phases de reflux, lorsque les « pics » se sont estompés, tout porte à croire que nombre de ces dispositifs seront maintenus après la crise sanitaire17. Miroir des inégalités, vecteur de discriminations, la pandémie aura également à bien des égards contribué à les amplifier.

La COVID-19, un révélateur des tensions dans la gouvernance mondiale des migrations

44Elle a alors clairement mis en évidence la tension fondamentale entre les différents niveaux de gouvernance des migrations : d’un côté, les politiques étatiques restrictives renforcées durant la crise et frappant au premier chef les personnes en situation de migration ; de l’autre, un rappel constant entre autres des organisations et institutions internationales du nécessaire respect effectif des droits humains de toute personne, indépendamment notamment de son statut ou de sa situation migratoire. Ces organisations et institutions ont par ailleurs, à rebours des États, insisté sur le fait que l’observation stricte de ces droits, loin d’être obstacle à la résorption de la crise sanitaire, constituait le meilleur moyen d’y répondre et, surtout, d’inscrire cette réponse dans le temps. La pandémie a fourni ici l’occasion d’un rappel d’autant plus salutaire qu’il a été assez largement relayé et repris par différentes initiatives de nature privée. Parmi elles, les « Principes de protection des migrant·e·s, des réfugié·e·s et des autres personnes déplacées » développés sous les auspices de la Mailman School of Public Health de Columbia University, du Migration and Human Rights Program de Cornell University, et du Zolberg Institute on Migration and Mobility de la New School, rédigés par une palette d’expert·e·s internationaux·ales et approuvés par plus de mille signataires, dont de nombreux·ses chercheur·e·s et universitaires, témoignent de l’implication des milieux de la recherche, notamment en sciences sociales18.

  • 19 Le Conseil d’État n’en a pas prononcé l’annulation en prenant note, dans son arrêt du 19 novembre 2 (...)

45Cette implication n’est pas vaine. Les auteur·e·s des « Principes » leur ont assigné comme objectif de « guider l’action étatique en contexte de pandémie, à accompagner les interventions des organisations internationales et à fournir une base argumentaire aux actions de plaidoyer et de défense des droits humains ». Ce dernier aspect est particulièrement intéressant. La COVID-19 a témoigné de la résilience des personnes en situation de migration. Beaucoup ont en effet su mobiliser un ensemble de ressources afin de contenir les effets les plus délétères de la crise sanitaire. Ils et elles ont notamment (ré)activé des réseaux de solidarités, sur le modèle des étudiant·e·s égyptien·ne·s, comme nous le montrent dans le dossier Sarah Boisson et Mayada Madbouly, ou les membres des diasporas sénégalaise et tunisienne confrontés à la question du retour des corps, comme le relèvent Félicien de Heusch, Carole Wenger et Jean-François Lafleur. Les personnes en situation de migration ont également su utilement s’appuyer sur des droits subjectifs dont la crise a permis de renforcer la prise conscience, tant au niveau de leur étendue que de leur importance. Appuyées par des associations de plus en plus enclines à brandir l’« arme » du droit (Philippe, 2020 ; Lochak, 2016) elles ont, en dépit de plusieurs déconvenues, enregistré quelques victoires auprès des juridictions administratives françaises. Laura Odasso et Frédérique Fogel rapportent en ce sens deux exemples significatifs, dans le contexte du respect de la vie privée et familiale : suspension (22 janvier 2021) puis annulation (29 juin 2021) par le Conseil d’État de l’instruction et de la décision du pouvoir réglementaire de demander aux consul·e·s de ne pas enregistrer ou instruire les demandes de visas de long séjour de réunification familiale ; suspension (9 avril 2021)19 de la circulaire du Premier ministre en date du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, motif pris de ce qu’elle ne prévoyait pas de dérogation à l’entrée sur le territoire français des personnes souhaitant y célébrer leur mariage. Ces décisions, rapprochées d’une série d’autres, confirme le Conseil d’État français dans un rôle de protecteur du droit fondamental des étranger·ère·s de mener une vie familiale normale, rôle que l’on ne l’avait pas vu endosser depuis longtemps. Voilà qui serait de « bon augure » « [e]n ces temps troublés » (Slama, 2021 : 1939). La crise sanitaire n’aurait alors pas été uniquement l’occasion d’une régression des droits et des standards de leur protection.

46Elle amène cependant à repenser certains dispositifs normatifs. Dans la chronique juridique associée à ce dossier, Tano Kassim Acka montre qu’il devra notamment en aller ainsi de la réinstallation des réfugié·e·s. La COVID-19 a en effet révélé les limites structurelles de ce mécanisme, par lequel des personnes reconnues réfugiées sont sélectionnées puis transférées dans un État autre que celui où elles se situent (État tiers), dont une « volatilité » indexée sur la liberté accordée aux États pour sa mise en œuvre. La pandémie en a cependant également démontré la « vitalité ». Des réinstallations ont notamment perduré, soulignant que l’immobilité à laquelle le monde a été contraint, quoique généralisée, n’a pas empêché le maintien des circulations.

La COVID-19, un évènement du parcours migratoire ?

47Ce constat invite, dans le prolongement de ce dossier, à porter l’analyse à l’échelle du parcours migratoire afin de mieux appréhender l’incidence de la COVID-19 sur les circulations selon les contextes politiques dans lesquels elles se déploient.

48Considérant que le parcours migratoire est un agencement d’évènements et que « tout évènement imprévisible est le résultat de liaisons, discontinuités ou incompatibilités entre différentes formes de spatialités » (Etelain, 2022), et sachant que « chaque action qui procède de la spatialité est productrice d’espace (sous la forme d’un agencement nouveau) qui s’inscrit et enrichit une configuration spatiale préexistante » (Levy et Lussault, 2003 : 867), l’hypothèse posée ici est celle d’une « spatialité (du parcours migratoire) comme intrinsèquement multiple » (Zusman, 2021 : 5) faisant coexister différents évènements. La COVID-19 est l’un d’eux. Son incidence est donc à replacer parmi la pluralité des évènements qui participent au parcours migratoire, entendu comme une réalité construite dans l’action sociale.

49Le Sahel central, traversé par les routes qui relient l’Afrique subsaharienne à la Méditerranée, constitue un espace d’observation privilégié pour interpréter ces évènements qui guident le choix des migrant·e·s en période de crise sanitaire.

50Dès le début de la pandémie de COVID-19, les États africains ont pris des mesures préventives fortes. Globalement, plus de la moitié ont ordonné la fermeture de leurs frontières alors que moins de dix cas avaient été détectés sur leur territoire. Ainsi, en dix jours (du 16 mars au 26 mars 2020), à l’exception du Liberia, tous les pays membres de la CEDEAO ont fermé leurs frontières (Petit et Robin, 2020).

  • 20 Interview de Florence Kim, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (...)
  • 21 Ben Hamad Fatma (2020) Niger : à Arlit, des migrants subsahariens se révoltent contre une quarantai (...)

51Jamais depuis sa création, en 1979, cet espace de libre circulation n’avait connu une telle situation. Ces restrictions ont généré des difficultés, des tensions et des situations dramatiques. Plus de 2 500 migrant·e·s en transit au Niger, au Burkina Faso, au Mali et au Tchad ont été bloqué·e·s. Certain·e·s ont dû être secouru·e·s en plein désert20. Parallèlement, à Arlit, au nord du Niger, une révolte a éclaté dans un camp de migrant·e·s en raison des conditions de vie déplorables et d’une « quarantaine sans fin »21. L’épidémie de la COVID-19 a également exacerbé les vulnérabilités et les stigmatisations. À Nador (Maroc), les campements des migrant·e·s en transit, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne, ont été détruits.

52Les médias ont présenté ces situations dramatiques comme exclusivement liées à l’épidémie COVID-19 sans porter attention à ce qu’elles révélaient implicitement de la multiplicité des formes de spatialités, sanitaire, mais également politique et sécuritaire, dans lesquelles se déploient les parcours migratoires. Cette observation place au centre de notre attention la question de la possibilité et des limites du partitionnement d’un espace, sachant que le parcours migratoire n’est pas seulement une question d’espace, mais aussi et surtout de consistance des relations qui l’animent.

53La fermeture des frontières comme mesure préventive de la COVID-19 n’a été qu’un frein momentané et relatif au déplacement des populations par voie terrestre. Les migrant·e·s ont simplement utilisé des points de passage et des itinéraires plus risqués. Comme le soulignait Laura Lungarotti, cheffe de mission de l’OIM en Mauritanie, « malgré les restrictions de mobilité, les migrants sont toujours obligés d’entreprendre des traversées périlleuses » (août 2020). Ainsi, début septembre 2020, quatre-vingt-trois migrant·e·s en détresse étaient secouru·e·s dans la région d’Agadès, au nord du Niger. Ils·elles tentaient de rejoindre l’Algérie. Parmi eux figuraient quarante-deux hommes, pour la plupart nigérians, mais aussi plusieurs ressortissants du Togo, du Mali et du Ghana, ainsi que quarante-et-une femmes nigérianes, dont des jumelles de quatre ans22. L’Algérie a décidé le 17 mars 2020 de fermer toutes ses frontières « face à la menace de la covid-19 ». Le gouvernement a pris la décision, le 16 mai 2021, de rouvrir partiellement les frontières terrestres et aériennes. Mais deux jours plus tard, les autorités algériennes annonçaient que les frontières terrestres resteraient « fermées sauf en cas de nécessité ». Or, selon le lanceur d’alerte Alarm Phone Sahara (APS), pour le seul mois de mars 2021, le nombre total de personnes expulsées de l’Algérie vers le Niger par la force et contre leur volonté s’est élevé à au moins 6 249 personnes, ressortissantes de nombreux pays d’Afrique subsaharienne : Guinée Conakry, Mali, Côte d’Ivoire, Nigéria, Sierra Leone, Niger, Soudan, Cameroun, Gambie, Sénégal, Tchad, Bénin et Liberia23. Ces convois dits « non officiels » abandonnent les migrant·e·s dans la zone frontalière entre l’Algérie et le Niger, au milieu du désert. Ils·elles doivent parcourir quinze à vingt kilomètres avant de rejoindre le poste-frontière d’Assamaka. Le convoi du 30 mars 2021 comptait notamment cinquante-cinq filles mineures, soixante-dix garçons mineurs et quarente-cinq femmes24. Déjà en 2018, l’État du Niger avait demandé à l’Algérie de mettre fin à ces expulsions de ressortissant·e·s non nigérien·ne·s. Mais depuis, les expulsions se sont poursuivies à grande échelle, y compris pendant la crise de la COVID-19. Rapatrié·e·s à Agadès, peu envisagent de retourner dans leur pays d’origine ; la seule alternative est de reprendre leur parcours migratoire.

54Ces exemples illustrent combien la fermeture des frontières, action politique qui renvoie à l’exercice du pouvoir par les États, a nourri l’illusion d’une interruption de la circulation des personnes sur les routes de la migration, et donc des parcours migratoires.

55C’est omettre un fait essentiel : le parcours migratoire est une « expérience sensible de l’espace » qui loin d’être inféodée à l’action politique des États, relève d’abord de l’intuition et de l’inventivité des migrant·e·s, de leurs capabilités individuelles et collectives, comme réponse à l’aléatoire.

  • 25 Enjalbert Cédric (2022) Interview de Claire Marin, Philosophie magazine, 157, pp. 64-69.

56En ce sens, la philosophe Claire Marin25 rappelle que « le réel n’est pas nécessairement tel qu’il apparaît. Il présente un double fond qu’il faut découvrir. […] Des relations entre les choses peuvent paraître évidentes, alors qu’elles ne sont que probables ».

  • 26 UNHCR (2020) Projet 21. Monitoring régional de protection. Sahel central: Burkina Faso, Mali, Niger (...)
  • 27 Selon le HCR (2020) : 1 658 000 personnes déplacées internes dont 1 075 000 au Burkina Faso, 326 00 (...)
  • 28 ONU Info (2020) Sahel : face à une crise proche du « point de rupture », ONU Info, 16 octobre.
  • 29 https://www.unhcr.org/flagship-reports/globaltrends/
  • 30 Projet « Trois frontières », Alliance Sahel, avril 2020.

57Les pays du Sahel central, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, abritent les lieux et les espaces les plus stratégiques qui structurent les routes de la migration reliant l’Afrique subsaharienne aux rives sud de la Méditerranée. Or, cette région fait face à une crise humanitaire et de protection sans précédent26. En 2020, seuls 17 120 cas COVID y ont été enregistrés alors que l’escalade de la violence a obligé plus 1 600 000 personnes à fuir leur foyer27. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH) des Nations unies parle d’« une crise qui arrive à un point de rupture »28 et le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) considère qu’il s’agit de la crise régionale la plus complexe et la plus rapide au monde29. Les parcours migratoires traversent les régions qui constituent l’épicentre de ces conflits. En provenance du Sénégal, de la Guinée ou de la Côte d’Ivoire, depuis Sikasso, située au sud du Mali, les migrant·e·s qui cherchent à rejoindre Agadès, au nord du Niger, traversent la zone dite du Liptako-Gourma, frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui « est marquée par une concentration de menaces sécuritaires sans précédent : actions de groupes radicaux, activités criminelles croissantes, banditisme et conflits communautaires »30. D’autres migrant·e·s choisissaient précédemment l’itinéraire rejoignant Bamako à Agadez en passant par Gao, au centre du Mali. Or, l’axe Gao-Ansongo-Labezanga a connu une détérioration de la situation sécuritaire, caractérisée par l’intensification de la criminalité, l’attaque des groupes armés non étatiques et des opérations militaires. Face à cette insécurité croissante, les migrant·e·s privilégient aujourd’hui la voie par Tombouctou, plus à l’est, qui sans être épargnée par les violences, leur semble moins dangereuse. Ils·elles franchissent ensuite la frontière algérienne à Bordj Badji Mokhtar, avant de rejoindre Tamanrasset, puis poursuivre en direction de la Libye.

58À ce risque sécuritaire s’ajoute un renforcement de la surveillance des migrations à travers le Niger. Depuis 2016, sept pôles de suivi des flux de population ont été installés par l’OIM dont deux à Seguedine et Madama, situées sur l’axe reliant Agadès à la frontière libyenne31. Ce dispositif s’inscrit dans le prolongement de la loi 2015-36 relative au Trafic Illicite de Migrants32, adoptée par l’État nigérien, le 26 mai 2015. Officiellement, cette loi vise à traduire dans le droit interne, le protocole de Palerme contre le trafic illicite de migrant·e·s. Il a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 2000, est entré en vigueur en 200333 et a été ratifié par le Niger en 200934. Mais l’objectif sous-jacent est l’externalisation du contrôle des frontières de l’espace Schengen aux frontières des pays africains. Ainsi, à certains postes-frontières du Niger, aujourd’hui, les forces de police exigent un passeport ou un carnet de voyage de la CEDEAO. Ces pratiques sont fondamentalement en contradiction avec le traité de libre circulation adopté par les États membres (1979). Pourtant, Simon Compaoré, ministre de la Sécurité du Burkina Faso (2017), se félicitait de ce nouveau dispositif considérant qu’il « va permettre de ne plus prendre simplement les cartes d’identité ou les passeports, regarder et enregistrer sur papier, mais de les mettre sur support informatique avec des empreintes digitales avec la possibilité que les informations qui sont données soient connectées à INTERPOL »35.

  • 36 De Sikasso (Mali) à Agadès, le montant total des sommes exigées pour franchir les différents postes (...)

59Ces nouveaux contextes, sécuritaires et politiques, incitent les migrant·e·s à emprunter des voies de contournement afin d’éviter les zones dangereuses et le racket lors de contrôles de police inopinés36.

60De plus, les violences basées sur le genre sont exacerbées ; les femmes et les filles sont notamment détournées vers des zones minières où elles sont contraintes à la prostitution. Parallèlement, des mineurs sont kidnappés dans les convois qui traversent le Sahara et revendus à des groupes armés, puis enrôlés pour combattre ou soumis au travail forcé.

61Pour celles et ceux, qui volontairement ou par contrainte, se sont engagé·e·s sur les routes de la migration, la crise COVID apparaît comme un aléa aux enjeux bien moindres que ceux liés aux conflits armés et aux nouveaux dispositifs de contrôle, formels ou informels, obligeant les migrant·e·s à emprunter des voies de contournement périlleuses qui ont renforcé l’invisibilité des parcours migratoires et l’atteinte au droit à la vie des migrant·e·s.

62Dans ce contexte la parole des migrant·e·s, tenant « une place centrale pour rendre compte de nos actions conscientes et inconscientes » (Bachelard, 2000), permet de comprendre comment chacun·e peut « se forger une nouvelle géographicité » (Brun-Picard, 2014 : 179) et s’approprier un « espace aléatoire » (Zusman, 2021).

63Les soucis d’engendrement, liés aux différents risques, sanitaires, sécuritaires et politiques, qui jalonnent les routes de la migration, exigent de chaque migrant·e des capabilités sans cesse renouvelées afin de franchir « l’inévitable hiatus de l’existence imposé par les multitudes par lesquelles doivent passer ceux qui ont choisi de durer un peu plus longtemps » (Latour, 2021 : 45), de préserver la continuité du parcours migratoire.

64Ainsi, vus du Sud, les parcours migratoires nous invitent à nuancer la perception eurocentrée de la crise COVID et à contextualiser ses incidences sur la circulation des personnes. Ils confortent par la même l’idée selon laquelle la pandémie aurait autant procédé par ruptures que par continuités.

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Zusman Yogev (2021) L’espace aléatoire, Paris, PUF.

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Notes

1 Appel à contributions : COVID-19, migrations et parcours. Des mobilités aux prismes de l’immobilité : paradoxes et réalités, Revue Européenne des Migrations Internationales, [en ligne]. URL : https://journals.openedition.org/remi/16255

2 Extrait de l’appel à contributions (disponible sur https://journals.openedition.org/remi/16255).

3 Par exemple en France, l’Institut Covid-19 Ad Memoriam. Cf. https://www.institutcovid19admemoriam.com/

4 Au sens d’anéantissement soudain des fonctions vitales, avec état de mort apparente, sous l’effet d’un violent choc émotionnel (dictionnaire Le Petit Robert).

5 La composition du « Comité de scientifiques constitué au titre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à l’épidémie de COVID-19 » en est illustration, que la présence d’un sociologue et d’une anthropologue ne vient que très partiellement nuancer.

6 Le concept « One Health » ou « une seule santé » en français, est mis en avant depuis le début des années 2000, avec la prise de conscience des liens étroits entre la santé humaine, celle des animaux et l’état écologique global. Il vise à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires (source : https://www.anses.fr/fr/content/one-health).

7 Afin de resituer les travaux de ces auteurs et mieux cerner les relations entre santé et développement, on pourra utilement consulter les travaux de Berthelemy Jean-Claude et Thuilliez Josselin (2013) Santé et développement : une causalité circulaire, Revue d’économie du développement, 21 (2-3), pp. 119-147, [en ligne]. URL : https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2013-2-page-119.htm

8 Ce projet réunit des chercheur·e·s issu·e·s de différentes disciplines (géographie, sociodémographie, droit, informatique, études littéraires, etc.), permettant ainsi une couverture large du phénomène. Les travaux se structurent autour de deux axes : (1) une analyse des effets des mesures du confinement sur les trajectoires migratoires d’une part, sur les lieux d’enfermement des étranger·ère·s d’autre part ; (2) une analyse textuelle, iconographique et thématique du traitement journalistique des migrations, internes et internationales. Cette analyse s’appuie sur une diversité d’outils méthodologiques : cartographie, analyse quantitative des co-variations, analyse du contenu textuel. Elle est réalisée en collaboration avec des ingénieur·e·s cartographiques de l’IRD (Eric Opigez, CEPED – IRD/Université Paris Cité) et du CNRS (Nelly Martin, MIGRINTER – CNRS/Université de Poitiers) ainsi qu’avec un chercheur (Lakdar Saïs) et un ingénieur du CRIL (Fabien Delorme, CNRS/Université d’Artois) dont la thématique de recherche fédératrice concerne l’intelligence artificielle et ses applications. Le traitement géographique est assuré par Lucie Bacon (Balkans), Thomas Lacroix (reste du monde), Nelly Robin (Afrique), Tony Rublon (Moyen-Orient), Li Zhipeng (Asie de l’Est). Le traitement thématique est pris en charge par Florian Aumond (Organisations internationales et droit), Elsa Gomis (Images et vidéo), Brenda Le Bigot et Jordan Pinel (migrations Nord-Sud), Véronique Petit (santé). Les fils sont répertoriés sur une page de l’Institut Convergences Migrations : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2020/05/20/covid-19-et-migrations/ et http://icmigrations.fr/2020/05/20/covid-19-et-migrations/ enfin https://seenthis.net/people/tony_rublon

9 Damon Julien (2021) Pauvreté globale : le choc du COVID-19, Politique étrangère, 1, pp. 11-22.

10 Cet enrichissement a par exemple été documenté dans le rapport d’Oxfam France, Dans le monde d’après, les riches font sécession, diffusé en janvier 2022.

11 La « saga » Novac Djokovic, tennisman serbe dont le visa a été annulé par le gouvernement australien faute d’avoir respecté les obligations sanitaires en ce qui concerne la vaccination contre la COVID-19 a largement occulté, dans les médias, le vécu des milliers d’autres non privilégié·e·s.

12 Cette seconde dimension n’a aucunement occulté la première. L’effondrement des envois de fonds de la diaspora pendant la crise a ainsi constitué un évènement également majeur.

13 Des éléments de réponse ont été apportés par le Comité des droits de l’enfant, constatant la violation par la France de ses obligations au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) en refusant de procéder au rapatriement des enfants français retenus dans des camps en Irak (communications n° 77/2019, 79/2019 et 109/2019, constatation du 8 février 2022).

14 http://www.senat.fr/rap/r19-526/r19-5261.pdf

15 Le « droit fondamental qu’a tout Français de rejoindre le territoire national », auquel il ne peut être atteint « qu’en cas de nécessité impérieuse pour la sauvegarde de l’ordre public » a été rappelé par le Conseil d’État français dans une décision du 28 janvier 2022 (n° 454927).

16 Carrère Violaine (2020) Régulariser les sans-papiers… dans le monde d’après, Plein droit, 4 (127), p. 6.

17 Tel est le cas pour le « téléservice » dans le cadre des demandes de titres de séjour. Le Conseil d’État en a cependant encadré l’utilisation en précisant que, dans certaines circonstances, une solution de substitution doit être prévue (n° 45798, 3 juin 2022).

18 https://zolberginstitute.org/initiatives/covid-19/

19 Le Conseil d’État n’en a pas prononcé l’annulation en prenant note, dans son arrêt du 19 novembre 2021 (n° 457726) de l’engagement pris par le ministère de l’Intérieur de revenir sur cette pratique.

20 Interview de Florence Kim, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour Afrique de l’Ouest et du Centre, Xinhua, 3 avril 2020, [en ligne]. URL : http://french.xinhuanet.com/2020-04/04/c_138945533.htm

21 Ben Hamad Fatma (2020) Niger : à Arlit, des migrants subsahariens se révoltent contre une quarantaine sans fin, France 24, Les Observateurs, 24 avril, [en ligne]. URL : https://observers.france24.com/fr/20200424-niger-arlit-migrants-subsahariens-revoltent-protester-contre-une-quarantaine-fin

22 https://news.un.org/fr/story/2020/09/1076682

23 https://www.alarmephonesahara.info/fr/ticker

24 Alarm Phone Sahara.

25 Enjalbert Cédric (2022) Interview de Claire Marin, Philosophie magazine, 157, pp. 64-69.

26 UNHCR (2020) Projet 21. Monitoring régional de protection. Sahel central: Burkina Faso, Mali, Niger, mai-novembre.

27 Selon le HCR (2020) : 1 658 000 personnes déplacées internes dont 1 075 000 au Burkina Faso, 326 000 au Mali et 257 000 au Niger.

28 ONU Info (2020) Sahel : face à une crise proche du « point de rupture », ONU Info, 16 octobre.

29 https://www.unhcr.org/flagship-reports/globaltrends/

30 Projet « Trois frontières », Alliance Sahel, avril 2020.

31 DTM/OIM, Rapports sur le suivi des flux de population.

32 https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ner/2015/loi_relative_au_trafic_illicite_de_migrants_html/Loi_N2015-36_relative_au_trafic_illicite_de_migrants.pdf

33 Il s’agit d’un protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité́ transnationale organisée (2000).

34 Cette ratification complète celle du Protocole relatif à la traite des êtres humains en 2004 mis en application dans le droit positif du Niger par l’Ordonnance n° 2010-86 relative à la lutte contre la traite des personnes. Cf. https://www.rabat-process.org/fr/countries/71-niger

35 Le Faso.net (2017) Lancement officiel du Système d’analyse des données et des informations migratoires (MIDAS) avec la collaboration de l’OIM et l’appui technique et financier du Japon, Le Faso.net, 2 octobre.

36 De Sikasso (Mali) à Agadès, le montant total des sommes exigées pour franchir les différents postes de contrôle est passé de 41 000 FCFA à 115 000 FCFA entre 2014 et 2020 (informations recueillies auprès des migrant·e·s au cours d’enquêtes réalisées par Nelly Robin, IRD, en décembre 2019 et février 2022).

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Table des illustrations

Titre Schéma 1 : Répartition du bilan humain de la pandémie entre avril 2020 et janvier 2021. Morts quotidiennes dues à la COVID-19 par grands ensembles. Moyenne glissante sur vingt-et-un jours
Crédits Source : https://www.values-associates.fr/​blog/​datavisualisation-raconte-covid-19/​
URL http://journals.openedition.org/remi/docannexe/image/19909/img-1.png
Fichier image/png, 211k
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Pour citer cet article

Référence papier

Florian Aumond, Véronique Petit et Nelly Robin, « Éditorial : COVID-19, migrations et parcours : ruptures et continuités »Revue européenne des migrations internationales, vol. 38 - n°1 et 2 | 2022, 7-36.

Référence électronique

Florian Aumond, Véronique Petit et Nelly Robin, « Éditorial : COVID-19, migrations et parcours : ruptures et continuités »Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 38 - n°1 et 2 | 2022, mis en ligne le 31 août 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/remi/19909 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.19909

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Auteurs

Florian Aumond

Juriste, Université de Poitiers, CECOJI (UR 21665), Bât. A10, 15 rue Sainte-Opportune, TSA 81100, 86073 Poitiers cedex 9 ; florian.aumond@univ-poitiers.fr

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Véronique Petit

Démographe, UMR 196 CEPED – IRD/Université Paris Cité, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris ; veronique.petit@ceped.org

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Nelly Robin

Géographe, UMR 1966 CEPED – IRD/Université Paris Cité, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris ; nelly.robin@ird.fr

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