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Actualités juridiques internationales
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Évolutions en matière d’emploi en Irlande en réponse à la Covid-19

Caroline Murphy et Lorraine Ryan
p. 212-217

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Mots-clés :

Europe, Irlande
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Texte intégral

1Pour faire face à la pandémie de Covid-19, l’Irlande s’est vue contrainte, comme le reste du monde, de prendre des mesures rapides et significatives, dont beaucoup ont eu des répercussions sur l’emploi.

2En Irlande, la situation était encore plus compliquée eu égard au fait que, lors de l’élection générale qui s’est déroulée début février 2020, aucun parti politique n’a obtenu la majorité significative requise pour la formation d’un nouveau gouvernement.

3C’est ainsi que début mars, au moment où la pandémie de Covid-19 entraînait quasiment partout des mesures de confinement, le pays n’avait toujours pas de nouveau gouvernement et la précédente administration s’est vue contrainte d’assumer la responsabilité de la prise de décision en Irlande pour faire face au virus.

4Une équipe nationale d’urgence sanitaire a donc été formée et, le 12 mars dernier, des mesures d’urgence ont été annoncées pour notamment encourager le travail à domicile, dans toute la mesure du possible1. Initialement prévues pour s’appliquer pendant une période de deux semaines seulement, les restrictions générées par ces mesures d’urgence ont finalement été prolongées et renforcées. L’impact sur l’économie et l’emploi a été très fort et a nécessité la mise en place d’aides financières importantes et de dispositifs de soutien en faveur des entreprises et des travailleurs.

5Instaurées par le projet de loi 2020 sur les mesures d’urgence dans l’intérêt public (Covid-19), ces différentes mesures consistent en une indemnité de chômage en cas de pandémie (I), le maintien du lien entre les entreprises et les travailleurs (II), des évolutions spécifiques en matière de garde d’enfants (III), et le développement du télétravail (IV).

I - La protection des revenus des travailleurs : l’indemnité de chômage

6Dès le début de la crise de la Covid-19, il s’est très vite avéré nécessaire d’instaurer un mécanisme efficace permettant de maintenir les revenus des travailleurs. En conséquence, le gouvernement a introduit une indemnité de chômage en cas de pandémie (PUP) permettant aux travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de la crise de recevoir une indemnité d’urgence, dont le montant était porté à 350€ par semaine2, soit nettement plus que l’indemnité normale de 203€ généralement accordée aux demandeurs d’emploi. L’indemnité de maladie Covid-19 pour les travailleurs ayant contracté le virus ou devant s’auto-isoler a également été portée à 350€ par semaine.

7Par ailleurs, le droit à la PUP a été étendu aux travailleurs indépendants qui pourraient ne pas être en mesure d’exercer leur activité pendant la période d’urgence3. Les partenaires sociaux ont été largement favorables à l’introduction de la PUP, considérée comme tout à fait conforme aux dispositifs internationaux en vigueur en réponse à la Covid-19.

8Cependant, le programme PUP a rapidement été critiqué par les employeurs qui ont fait valoir que l’indemnité généreuse de 350€ par semaine risquait de dissuader certains salariés - par exemple dans le commerce de détail - de reprendre le travail, puisque le montant de l’indemnité était proche du salaire minimum net appliqué dans ces secteurs4. Pour les employeurs, ce point pouvait s’avérer particulièrement problématique s’agissant des travailleurs à temps partiel, car cela pouvait influencer leur décision de retourner ou non au travail lors de la levée des restrictions et de la réouverture progressive du pays.

9En réponse aux critiques, le gouvernement a modifié le programme PUP et annoncé pour fin juin un nouveau régime qui comprendrait deux catégories de bénéficiaires. Désormais, toute personne rémunérée moins de 200 € par semaine avant l’épidémie de Covid-19 recevrait ainsi une indemnité ramenée à 203€ par semaine, au lieu de 350€. La Présidente du Congrès irlandais des syndicats (ICTU), Patricia King, a critiqué le changement de régime, et déclaré ce nouveau barème « insuffisant » pour soutenir les travailleurs5.

II - Le maintien du lien entre les entreprises et les travailleurs

10Les partenaires sociaux ont unanimement estimé qu’il était nécessaire de maintenir le lien entre les entreprises et les travailleurs pendant que l’économie traversait cette période de hiatus. C’est ainsi qu’a été l’introduit un régime Covid-19 de subvention temporaire des salaires (ou TWSS).

11Ce programme fiscal prévoyait une subvention de 70% du salaire net du salarié, plafonnée à 410€ par semaine. Par la suite, le gouvernement a élargi l’application du TWSS et augmenté le taux de la subvention à 85% du salaire net, afin d’attirer davantage de travailleurs dans le régime où le salaire hebdomadaire net moyen ne dépassait pas 412€. Pour bénéficier de ce régime, un employeur devait démontrer qu’il avait perdu au moins 25% de son activité sur la période allant du 14 mars au 30 juin.

12L’une des vocations principales de ce régime était de maintenir l’emploi et d’éviter les licenciements massifs. Les employeurs ayant déjà licencié du personnel avant l’introduction du régime à la fin du mois de mars ont donc été encouragés à réintégrer ces salariés pour bénéficier de ladite subvention6.

13Un autre objectif visé par le programme était de garantir qu’après la pandémie, il serait plus facile de rouvrir des entreprises et de protéger les salariés contre la perte des droits acquis grâce à leur ancienneté. Les employeurs n’étaient pas tenus de compléter le montant versé au titre de la subvention, mais le but poursuivi par le gouvernement était qu’un grand nombre d’entre eux essaient, autant que possible, de maintenir des revenus similaires à ceux perçus avant la pandémie7.

14Un dernier amendement au régime a été introduit en juin 2020 pour résoudre une question soulevée par le Conseil national des femmes d’Irlande. En effet, une anomalie fonctionnelle de la PUP a fortement impacté les personnes ayant bénéficié d’un congé de maternité ou d’adoption pendant la période de référence portant sur les mois de janvier et de février 20208.

15Conformément aux objectifs généraux du TWSS, la suspension du droit d’un salarié de réclamer des indemnités de licenciement après une période de mise à pied a également été introduite, pour couvrir la période de mars à mai 20209. Dans la pratique, cela signifiait que les dispositions de droit commun en matière de licenciement - auxquelles les salariés peuvent généralement prétendre dès lors qu’ils sont restés sans travail pendant 4 semaines consécutives - ne s’appliqueraient pas si la mise à pied était la conséquence de mesures que l’employeur avait dû prendre pour se conformer à la politique gouvernementale relative à la Covid-1910.

16Les dirigeants du Congrès irlandais des syndicats (ICTU) et de la Confédération irlandaise des employeurs (IBEC) ont salué l’introduction du TWSS. Cependant, certains membres du Barreau ont critiqué le régime de subventions salariales, remettant en question les principes de son fonctionnement et faisant valoir que, pour les entreprises, il présentait des caractéristiques similaires à une déclaration d’insolvabilité.

17Les représentants du Barreau ont affirmé que la manière dont la loi était rédigée signifiait qu’elle « ne serait probablement pas utilisée par la plupart des employeurs » et qu’elle « irait probablement à l’encontre de l’objectif déclaré de la loi »11.

18Toutefois, il semble que ce point de vue soit infondé étant donné que dans un court laps de temps, 36 000 employeurs ont adhéré au régime et qu’à la fin du mois de juin dernier, près d’un tiers des employeurs y avaient recours12.

III - Des évolutions spécifiques au secteur de la garde d’enfants

19Toutes les écoles, collèges et garderies ont fermé leurs portes le 12 mars 2020 dans le cadre du premier bloc de restrictions introduites pour réduire la propagation du coronavirus. Les garderies présentaient un problème particulier pour le gouvernement eu égard aux problèmes structurels dans ce secteur.

20En effet, on pouvait craindre qu’un grand nombre de petites structures et/ou de garderies privées ne soient pas en mesure de survivre pendant toute la période de fermeture, déclenchant ainsi une pénurie dramatique en matière de structures de garde d’enfants lors de la reprise de l’économie. En réponse aux inquiétudes des prestataires de services de garde d’enfants, le gouvernement a lancé une initiative spéciale : le programme de subventions salariales pour la garde d’enfants.

21Les objectifs visés par ce programme étaient triples :

  • premièrement, soutenir la durabilité du secteur afin qu’il soit en mesure de rouvrir après la pandémie de Covid-19 ;

  • deuxièmement, donner aux parents l’assurance qu’ils ne seraient pas tenus de payer des frais pendant la crise afin de conserver une place dans une garderie ;

  • enfin, assurer la sécurité de ceux qui travaillent dans le secteur et maintenir leurs emplois13.

22Par ailleurs, il est rapidement devenu évident que la fermeture des garderies avait des répercussions sur la capacité de retenir les travailleurs des secteurs essentiels dès lors qu’ils ne disposaient pas d’autres modes de garde d’enfants. Peu de temps après le début de la crise, des suggestions ont été émises concernant l’utilisation du personnel de garde temporairement disponible pour s’occuper des enfants des travailleurs de première ligne14.

23Cependant, cette idée a suscité des critiques motivées par des préoccupations de santé publique, étant donné le risque plus élevé d’infection pour les travailleurs de la santé. Il a ensuite été proposé que les partenaires des agents de santé travaillant également dans le secteur public reçoivent un congé payé pour s’occuper de leurs enfants15. A leur tour, ces propositions ont été critiquées, notamment par les représentants du personnel infirmier de l’Organisation irlandaise des infirmières et des sages-femmes (INMO) qui les ont jugées « pires qu’insignifiantes », estimant qu’elles « n’apporteraient rien à la grande majorité des infirmières et des sages-femmes ».

24En mai dernier, un programme a ainsi été annoncé par la Ministre de l’enfance, Katherine Zappone, visant à fournir un service de garde d’enfants pour les agents de santé, moyennant un coût total de 4,7 millions d’euros par semaine partiellement financé par les familles elles-mêmes.

25Ce programme fonctionnait sur une base entièrement volontaire. Ainsi, les éducateurs qui avaient des inquiétudes pouvaient se retirer, mais les volontaires pour garder les enfants au domicile des travailleurs de la santé seraient rémunérés en moyenne 15€ de l’heure et conserveraient leur poste dans la garderie qui les employait avant la pandémie16.

26Ce programme a cependant été abandonné en raison de l’adhésion trop faible des prestataires et du manque de couverture d’assurance pour les participants au régime. Dans le cadre de la feuille de route pour la réouverture du pays, les structures d’accueil ont pu rouvrir le 29 juin.

IV - Le développement du télétravail

27La crise de la Covid-19 a incité un grand nombre d’entreprises et de travailleurs à se lancer dans le travail à domicile (ou à le pratiquer davantage). Dans de nombreuses professions, le télétravail à plein temps devrait se poursuivre au moins jusqu’à fin 2020.

28S’il est vrai que les travailleurs ont salué les nombreux avantages du travail à domicile - la réduction des temps de trajet, des journées de travail plus flexibles, une autonomie accrue - il n’en demeure pas moins que des difficultés ont également été mises en évidence à partir de l’instant où ce mode de travail censé répondre à une situation d’urgence est devenu plus permanent.

29Au début de la crise, les problèmes les plus fréquemment soulevés étaient liés à l’équilibre entre le travail et les responsabilités en matière de garde d’enfants et de scolarité, eu égard à la fermeture des écoles et des garderies. Les employeurs ont alors accordé, dans la mesure du possible, une réduction du nombre d’heures, un fractionnement des journées de travail et des horaires flexibles.

30En outre, le passage au télétravail - et plus généralement l’impact de la pandémie - ont une fois de plus mis le doigt sur les problèmes d’inégalité entre les sexes dans le travail, les femmes assumant une part disproportionnée du travail ménager et de la garde des enfants.

31Parmi les autres difficultés mises en exergue figurent celles liées au temps de travail, à la santé et à la sécurité, en particulier les problèmes d’ergonomie, de stress et de santé mentale. Des études révèlent en effet que si le télétravail est largement plébiscité, l’un des problèmes majeurs est lié au « droit de déconnexion ».

32L’Institut de recherche économique et sociale (ESRI) a suggéré qu’il pourrait y avoir une plus grande capacité de travail à domicile dans les emplois moins rémunérés et qu’il faudrait se pencher sur la question pour remédier aux conséquences inégales de la perte d’emploi due à la pandémie de Covid-1917. Ces sujets nécessiteront probablement des discussions plus approfondies et une adaptation de la réglementation du travail, après la pandémie.

33Pour conclure, il est frappant de constater que si de nombreux secteurs de l’économie - comme les secteurs non essentiels de la vente au détail, de l’hôtellerie et de la construction - ont été gravement touchés par la pandémie, d’autres ont moins souffert. Par exemple, il est probable que les fabricants de produits pharmaceutiques et de soins, un secteur qui emploie un grand nombre de personnes dans l’économie irlandaise, vont connaître une augmentation significative de la demande.

34Certains secteurs de la grande distribution ont également enregistré une augmentation de la demande et des grandes chaînes de supermarchés, à l’instar de Tesco, Aldi et Dunnes, ont récompensé leurs travailleurs de première ligne avec des primes de 10% pour reconnaître l’importance de ces salariés pendant la crise de la Covid-19.

35L’impact de la Covid-19 est susceptible d’avoir d’importants effets à long terme sur les relations de travail, en particulier en ce qui concerne les salaires futurs. L’ESRI prévoit une contraction économique significative liée à une augmentation sans précédent des dépenses publiques de lutte contre le virus, couplée à la perte de revenus due à la baisse de l’activité économique18.

  • 19 Chartered Institute of Personnel Development Pay Survey in conjunction with Industrial Relations Ne (...)

36Les auteurs d’une enquête annuelle sur les salaires en Irlande affirment que le paysage des négociations salariales est susceptible d’être considérablement modifié à l’avenir, les négociations salariales étant considérées comme interdites actuellement et faisant de 2020 une « année perdue » en termes d’augmentations de salaire19.

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Notes

1 Irish Government News Service (2020) : https://merrionstreet.ie/en/news-room/news/statement_by_an_taoiseach_leo_varadkar_on_measures_to_tackle_covid-19_washington_12_march_2020.html

2 Gov.ie (2020) COVID-19 Pandemic Unemployment Payment : https://www.gov.ie/en/service/be74d3-covid-19-pandemic-unemployment-payment/

3 Law Society of Ireland (2020) Pandemic supports still evolving: https://www.lawsociety.ie/gazette/in-depth/Covid-state-supports/

4 Industrial Relations News : https://www.irn.ie/article/25651 COVID MEASURES - IRN 12 - 26/03/2020

5 Irish Examiner (2020) : https://www.irishexaminer.com/breakingnews/business/ictu-head-patricia-king-warns-paschal-donohoe-against-cutting-350-pandemic-payment-1001604.html

6 Industrial Relations News : https://www.irn.ie/article/25651 COVID MEASURES - IRN 12 - 26/03/2020

7 Lewis Silkin (2020) Ireland : The new Temporary COVID-19 Wage Subsidy Scheme (https://www.lewissilkin.com/en/insights/the-new-temporary-Covid-19-wage-subsidy-scheme).

8 RTE.ie Twss open to women returning from maternity leave : https://www.rte.ie/news/business/2020/0529/1143446-twss-open-to-women-returning-from-maternity-leave/

9 Industrial Relations News: https://www.irn.ie/article/25659

10 Lewis Silkin (2020) Ireland : The new Temporary COVID-19 Wage Subsidy Scheme (https://www.lewissilkin.com/en/insights/the-new-temporary-Covid-19-wage-subsidy-scheme).

11 Law Society of Ireland (2020) Pandemic supports still evolving : https://www.lawsociety.ie/gazette/in-depth/Covid-state-supports/

12 Industrial Relations News : https://www.irn.ie/article/25674 Take-up of Wage Subsidy Scheme suggests common sense is prevailing 02/04/2020

13 Early Childhood Ireland (2020) Covid-19 News and Information : https://www.earlychildhoodireland.ie/policy-campaigning-and-advocacy-team-update-dail-questions/

14 RTE : https://www.rte.ie/news/coronavirus/2020/0506/1136870-childcare-healthcare-workers/

15 Irish Times Irish Times : https://www.irishtimes.com/news/health/coronavirus-paid-leave-for-some-partners-of-healthcare-workers-to-assist-with-childcare-1.4235059

16 Industrial relations News : https://www.irn.ie/article/25768

17 Industrial Relations News : https://www.irn.ie/article/25801

18 Economic and Social Research Institute : https://www.esri.ie/news/irish-economy-faces-largest-recession-in-history-as-lockdown-takes-its-toll

19 Chartered Institute of Personnel Development Pay Survey in conjunction with Industrial Relations News.

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Pour citer cet article

Référence papier

Caroline Murphy et Lorraine Ryan, « Évolutions en matière d’emploi en Irlande en réponse à la Covid-19 »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 3 | 2020, 212-217.

Référence électronique

Caroline Murphy et Lorraine Ryan, « Évolutions en matière d’emploi en Irlande en réponse à la Covid-19 »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 3 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/1039 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.1039

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Auteurs

Caroline Murphy

Université de Limerick

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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